Edito-Criminalisation de l’homosexualité au Sénégal : de la pertinence du projet de loi de l’association «And Samm Jikko» ?

Depuis quelques mois, la question de l’homosexualité occupe le devant de l’actualité au Sénégal. Portée par des députés de l’opposition, à l’initiative de l’association « And Samm Jikko », la proposition de loi plaidant pour la criminalisation de la pratique continue de butter sur le bloc de la coalition au pouvoir qui ne cache pas son désaccord. Chrono actu décortique les tenants et les aboutissants de ce projet qui cristallise le débat.   

L’homosexualité : enjeu électoral d’un fait hautement répréhensible

S’il est une thématique sensible sans cesse instrumentalisée à des fins politiques, à la veille d’échéances électorales, la question de l’homosexualité en constitue indubitablement une. La frontière entre le combat contre ce fait qui constitue une agression contre nos valeurs morales et le déroulement insidieux d’un agenda politique, est devenue ténue sous nos cieux. En effet, depuis les années 1960, l’article 319, troisième paragraphe, du code pénal sénégalais est formel sur la question : « Sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe.” Une dépénalisation n’est pas alors à l’ordre du jour.

Cette option claire du gouvernement sénégalais n’a pas pris de ride. Elle est réaffirmée à chaque fois que de besoin par le Président Macky SALL.  Ainsi, aux côtés de Justin Trudeau, Premier ministre canadien, interpellé par la presse, le Président Macky Sall avait écarté une nouvelle fois toute modification de la loi.

Lors de la visite du Président américain, Barack Obama en 2013, il n’avait pas manqué d’entonner la même rengaine, en des termes on ne peut plus clairs : « le Sénégal n’est pas prêt à dépénaliser l’homosexualité ». Et le Président SALL de réitérer sa position en Aout 2014, en marge du sommet Afrique-Etats Unis à Washington.

Au regard cette position constante qui ne souffre d’aucune ambiguïté, il est assez un curieux que l’association « Sam Jikko Yi », décide de faire vaille que vaille, de la lutte contre l’homosexualité son cheval de bataille, au point d’en demander la criminalisation.

Pire encore, cette question n’est agitée qu’en perspectives d’une élection. En clair, les promoteurs de cette proposition de loi semblent avoir d’autres visées. Celles-ci vacillent clairement entre surenchères politiques et enrôlement de panurgistes, à la veille d’échéances électorales.

L’incohérence inexcusable de « And Samm Jikko »

pub

Au-delà du débat sur le véritable dessein de l’association « And Samm Jikko », un hiatus juridique demeure.  La proposition de loi de « And Samm Jikko » a-t-elle comme objectif de criminaliser l’homosexualité ou de durcir des peines ? La question n’est pas sans intérêt. En effet, le coordonnateur Ababacar Mboup, dans une récente sortie, a laissé entendre que leur association  ne demande plus la criminalisation, mais plutôt le durcissement des peines. Ainsi, d’aucuns ne se retrouvent plus et estiment que l’association se contredit.

Dans leur proposition de loi, l’association  « And Samm Jikko Yi » (ASJ) demande à ce que la peine prévue par l’article 319-3 du Code pénal soit de 5 à 10 ans. Ce qui ne rentre pas dans la fourchette des peines criminelles. Autrement dit, l’association  ne demande pas une criminalisation, mais plutôt un durcissement ou une aggravation de la peine délictuelle, qui, au moment où nous vous parlons, est d’un (1) an à cinq (5) ans de prison. C’est dire alors que « And Samm Jikko » devrait régler cette question préjudicielle, bien avant le dépôt de la proposition de loi rejetée par le bureau de l’Assemblée nationale.

La criminalisation de l’homosexualité est-elle juridiquement efficace ?  

En matière criminelle, c’est-à-dire, lorsque l’infraction constitue un crime, comme le souhaite « And Samm Jikko » pour l’homosexualité, il est important de rappeler que l’instruction préparatoire est obligatoire. A la fin de cette instruction, si le juge d’instruction estime que les faits constituent un crime, il rend une ordonnance de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre criminelle. Le juge d’instruction transmet alors le dossier avec son ordonnance au procureur de la République. Le rôle est arrêté et la date d’audience de la chambre criminelle fixée par ordonnance du Président du Tribunal de Grande instance, sur proposition du Procureur de la République (Art 222). Les audiences de la chambre criminelle se tiennent de manière permanente (Art 221).

A rebours de cette procédure lourde en matière criminelle, en matière correctionnelle, le tribunal correctionnel est saisi soit par le renvoi qui lui est fait par la juridiction d’instruction, soit par la comparution volontaire des parties dans les conditions prévues à l’article 377, soit par la citation délivrée directement au prévenu et aux personnes civilement responsables de l’infraction, soit par application de la procédure de flagrant délit prévue par les articles 381 à 385 (art 376 CPP).

C’est dire alors que face au besoin de punir le plus rapidement possible un fait aussi répréhensible que l’homosexualité, sa criminalisation est juridiquement impertinente. Elle produirait, à coup sûr, le contraire des effets escomptés, compte tenu de la lourdeur de la procédure criminelles.

 

 

 

 

 

 

 

pub