Les partis de gauche au Sénégal : Quel legs après deux alternances successives ?

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Mai 1968, une date au Sénégal qui peut aussi être considérée comme une période où émerge un mouvement global de contestation du régime du Président Senghor sous le rapport de ce qui pouvait être appelé une inféodation au système français. Un véritable mouvement de revendication d’un système éducatif national, africain. Pour les syndicats également, les mots d’ordre étaient axés sur la démocratisation de l’économie. Donc, la seule voie alternative, était celle des syndicats et des élèves qui a abouti à un long processus qui verra le régime de Senghor être confronté à la réalité politique. Ce processus donnera le multipartisme, instauré en 1974 et qui est entré dans les mœurs en 1981 avec l’accession à la présidence d’Abdou Diouf.

Il s’est agi pour la gauche à l’époque, de poursuivre une lutte déjà enclenchée par cet élément pour jouer notamment sur les insuffisances dans l’exercice de la souveraineté, sur le blocage dans l’économie et sur les lacunes dans la pratique d’une démocratie authentique.

Comportements idéologiques des partis de gauche

Il faut rappeler que les figures de la gauche évoluent dans tous les secteurs de la nation, notamment politique, économique, culturel, religieux etc… Des partis comme le PAI qui est l’héritier des mouvements précurseurs de la Gauche Sénégalaise, Le Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT), La Ligue Démocratique/ Mouvement Pour le Parti et le Travail (Ld), AJ/ PADS etc…, sont autant de partis qui se sont illustrés durant ces décennies de lutte âpres pour obtenir, ce qu’Abdoulaye Bathily intitulait dans son œuvre «  Passion de Liberté » : l’acquisition de nouveaux droits même si le chantier est toujours à construire. Pour le Secrétaire général de la LD/MPT, la lutte ne s’arrête pas à l’alternance politique. Il faut, au–delà, faire appel à l’alternative.

Le Sénégal a connu l’existence du Parti Communiste Sénégalais, l’Union Démocratique Sénégalaise (UDS, le RDA), le Parti du Rassemblement Africain (Pra–Sénégal), sans oublier le Groupe d’Études Communistes, l’Union des Jeunes de Thiès (Ujt). Le Manifeste du PAl signé par 15 patriotes sénégalais apparaît le 15 septembre 1957. Comme le relate l’analyse politique que nous avons lue à travers son œuvre intitulée : « Les enjeux de la renaissance des partis de gauche » et qui met en exergue le processus de formation de ces partis contestataires : « Pour la première fois en Afrique Occidentale, sous domination française, un Mouvement réclamait sans ambages l’Indépendance immédiate et la construction d’une société socialiste inspirée des principes du Marxisme–Léninisme. » C’est dire, comme le pense également le Pr Abdoulaye Bathily, figure emblématique de la gauche, qu’aucun aménagement n’est possible avec le système colonial, car les peuples d’Afrique ne veulent, ni autonomie interne, ni aménagement de la communauté franco–africaine, par contre, ils  veulent l’Indépendance.

Le PAI décline ses objectifs politiques fondamentaux et son programme. «…l’Indépendance n’est pas un but, mais un moyen d’améliorer le niveau de vie matérielle des masses africaines. Il n’existe qu’une seule voie : la réorganisation rationnelle de l’Economie en vue de l’augmentation du pouvoir d’achat des masses. » (Abdoulaye Bathily).

En réalité, la création du PAI, avec son mot d’ordre historique : « Mom Sa Rew, Bokk Sa Rew, Défar Sa Rew », prenait toute sa justification historique un an après sa création, avec le référendum organisé en 1958 par De Gaulle, autour de son projet de Constitution, pour créer une « Confédération franco–africaine », à la place de l’Indépendance. Dans son œuvre, l’analyste Mamadou Albert Sy considère que « c’est une date emblématique de cette période de lutte pour l’Indépendance nationale : « Vous voulez l’Indépendance ? Prenez-la!! » Une phrase qui en dit beaucoup. Ce mot d’ordre créa une scission au sein de « l’Union Progressiste du Sénégal » (UPS) dirigée par Senghor, Mamadou Dia et Lamine Guèye, pour donner naissance au « PRA Sénégal » dirigé par Abdoulaye Ly, Assane Seck et Amadou Makhtar Mbow, entre autres, pour rejoindre le camp de l’Indépendance nationale du Sénégal, qui avait appelé à voter « NON » à la Confédération ! Les objectifs déclinés par la mouvance de la gauche étaient en contradiction totale avec le projet français soutenu par les partisans du Président, Léopold Sédar Senghor ».

Le PAI va marquer l’évolution politique du Sénégal entre sa création et son interdiction par décret n°60–267 du 1ier août 1960. Il a participé aux nombreuses luttes sociales et politiques du peuple sénégalais. Le PAI a eu de l’influence à l’échelle du Sénégal et du continent africain.

Le Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT)

« Le Parti de l’Indépendance et du Travail du Sénégal (PIT/SENEGAL) est une des organisations légales issues du « Parti Africain de l’Indépendance » (PAI), à partir de 1981. Le PIT/SENEGAL, comme étant la continuité historique du PAL, a connu, dans la clandestinité, de graves évolutions. Ce fut d’abord, avec les théoriciens du « masque indispensable », membres de la Direction du Parti, consistant à le dissoudre dans le Parti de masse que le Professeur Cheikh Anta Diop venait de créer. Le Parti avait vécu une déviation militariste, consistant à promouvoir la lutte armée contre le régime de Senghor, qui était parvenu à liquider politiquement son compagnon historique, Mamadou Dia.

Ce régime a édifié un régime présidentiel avec un pouvoir personnel qui continuait, après l’interdiction du PAl et des mouvements jeunes et femmes qui lui étaient proches, de restreindre les libertés démocratiques et d’imposer, au plan politique, un parti dominant, mais unique de fait, au plan syndical, un syndicat unique, « l’Union Nationale des Travailleurs du Sénégal » (UNTS), et d’interdire toute organisation d’étudiants à l’Université de Dakar. Cette période de l’histoire du Sénégal est surnommée, « les années de plomb » ! C’est dans ce contexte de recul des acquis démocratiques  du peuple arrachés sous le colonialisme Français, et la répression qui l’accompagnait, qui ont amené des dirigeants du parti à opter pour une lutte armée, sans consultation avec le Comité Central, ni avec la Direction intérieure du Parti, que dirigeait Seydou Cissokho. Cette crise aboutit à la tenue d’une « Conférence Rectificative» en 1967, qui prit la décision de suspendre le Comité Central et le Secrétaire Général, Majmouth Diop, et d’élire un Comité Central provisoire dirigé par Seydou Cissokho, chargé de convoquer le second Congrès du PAI, après celui tenu en 1962 dans la clandestinité à Bamako.

Le PIT/ Sénégal a connu une grave crise directionnelle suite à la chute du camp socialiste d’Europe de l’Est avec la dislocation de l’Union Soviétique et la perte du pouvoir par les Partis Communistes de ces pays en 1991. C’est ainsi qu’une partie significative de la Direction du Parti, avait cru bon que le parti renonce au Marxisme– Léninisme, pour devenir « social–démocrate », dont les détachements, au plan européen, parmi lesquels le Parti Socialiste Français, accèdent massivement au pouvoir. Cette crise fut résolue par le Troisième Congrès du Parti en 1977, avec le départ de ces camarades, et l’affirmation de son orientation sur le « Socialisme Scientifique», qui est, selon Ibrahima Sène, « la version légitime du Marxisme–Léninisme, démarquée du Stalinisme, du Trotskisme et du Maoïsme, face aux socio–démocrates triomphants ».

La Ligue Démocratique/ Mouvement Pour le Parti et le Travail (Ld/ MPT)

La Ligue Démocratique est née en septembre 1972. Elle résulte d’une scission actée au Congrès du PAI. Le PIT et la LD/ Mpt, sont deux organisations de la gauche marxiste qui se sont développées de manière parallèle. Ils resteront longtemps des frères ennemis et des rivaux. La Ligue Démocratique/Mpt et le PIT constituent des modèles organisationnels relativement différents de celui du modèle maoïste.

La LD/MPT et le PIT se sont constitués en une structure de parti d’avant–garde marxiste, alors que chez les militants de MJML, la création de l’avant–garde sera un des chantiers à court et moyen terme des militants se réclamant de ce courant. Cette différence de perception de l’organisation de la lutte politique, résulte des conditions de constitution et d’évolution de la Ld et du Pit. Les deux partis sont issus des flancs du PAI historique. Quand on quitte un parti structuré à l’instar du PAI historique, on pense devoir créer un autre parti différent. Il n’en demeure pas moins que la Ld/Mpt et le Pit sont des héritiers du parti africain précurseur de la gauche. Les anciens militants qui vont créer des partis de gauche, garderont à ce titre, l’objectif central de l’Indépendance à travers la lutte contre le régime socialiste et l’implantation des bases du parti dans tous les milieux sociaux, singulièrement, scolaires et du travail. Certains se réclament encore avec fierté du statut d’héritier du PAI historique.

Les stratégies de lutte et de déploiement de la Ld/Mpt et du PIT sont quasi identiques à celles de tous les partis et organisations de gauche marxiste–léniniste. Elles sont bâties à partir d’un socle clandestin animé par les dirigeants fondateurs et une base qui va s’installer et se développer dans tous les secteurs d’activité socio–professionnelle. Le secteur éducatif sera un passage obligatoire pour tous les militants de la gauche Marxiste–Léniniste et Patriotique. Les partis de gauche prolongent cette culture militante héritée du Pai. La gauche aura son milieu naturel, celui des écoles et des universités publiques et l’Europe.

Le Pit, la Ld et And–Jëf voient le jour dans la même période de l’après–1968, à savoir les années se situant au début des années 1970 à la fin des années 1980. Cette période de naissance et de croissance de la gauche marxiste–léniniste est très courte. En moins d’une dizaine d’années, les partis et groupes de gauche marxiste explosent au Sénégal. Le Mouvement de la Jeunesse Marxiste–Léniniste «Le premier courant maoïste au Sénégal est né au sein du Parti Africain de l’Indépendance (PAI), en contestation des orientations pro–URSS de la direction du PAI.

Qu’est ce qui fonde l’idéologie de gauche ?

Le contexte politique marqué par le bouillonnement des idées post–1968 pourrait avoir un lien important avec la multiplicité des sensibilités idéologiques de gauche. Les responsables des trois principaux partis de Gauche seront tous des héritiers des batailles de l’Indépendance et des évènements de mai 1968.

Le gouvernement du Sénégal engage une véritable lutte contre les dirigeants des organisations syndicales et des étudiants. La dissolution du Pai par le régime socialiste annonçait déjà la tendance répressive et la privation des libertés au Sénégal. « La répression n’est pas toujours la meilleure arme pour avoir raison de ses adversaires politiques. Beaucoup d’entre ceux, qui avaient entre 18 et 21 ans et qui n’étaient que de simples révoltés, se sont radicalisés et même politisés du fait de la répression systématique dont ils avaient été l’objet. Ceux d’entre eux qui avaient été arrêtés en 1968, qui l’ont été de nouveau en 1969 avant d’être exclus définitivement de l’Université et enrôlés de force dans l’Armée en mars 1971, n’ont jamais pensé faiblir dans leur engagement contre le régime. Bien au contraire, plus la répression était féroce, plus leur conviction était forte. Ce furent des années dures à tous égards pour eux.

L’avènement de la première alternance porte au pouvoir le Parti Démocratique Sénégalais. Les partis de la Gauche, notamment, AND–JËF, LD/MPT, PIT, RND, UDP, et l’Alliance des Forces de Progrès ont participé à ce premier changement politique au Sénégal. « Ce sont, pour l’essentiel, d’anciens militants de l’OMLX ou de la Gauche, basés à l’étranger qui ont initié les premiers débats sur la « candidature unique de l’opposition sénégalaise à l’élection présidentielle de 2000. Par des contributions dans les journaux privés, ils ont croisé le fer avec d’autres anciens de Gauche comme Babacar Sine, qui sont devenus des idéologues du parti au pouvoir. Ces anciens militants marxistes ont organisé un Congrès virtuel, entre Me Abdoulaye Wade, durant son long séjour en France, Pr. Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho et Landing Savané, bien avant les élections de 2000.

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Au dernier jour de ce congrès virtuel, le débat n’a jamais été programmatique, mais plutôt pour des postes ministériels… Chacun des leadeurs de Gauche, demandant à Me Wade « Nous allons te soutenir mais si tu deviens Président, Idrissa Seck ne peut devenir ton Premier Ministre. » Le professeur Iba Der Thiam était contre cette idée tout comme Djibo Leyti Kâ, transfuge du parti au pouvoir.

Sur l’œuvre de Mamadou Albert Sy, il est noté que le premier gouvernement de l’alternance en 2000 a été en très grande majorité composé par des anciens marxistes ou de la Gauche, toutes tendances confondues, qui vont occuper des postes stratégiques comme le Ministère des Finances ou des Affaires étrangères entre autres ». Cet état d’esprit des militants et responsables des partis de gauche avant même l’avènement de la première alternance politique cristallise déjà des ambitions inavouables des leadeurs et des conflits interpersonnels entre les militants de gauche et certains militants et responsables du Parti Démocratique Sénégalais.

Mamadou Diop Decroix, dans cette analyse, livre sa pensée de gauche : « Pour nous, réaliser l’alternance était la chose la plus importante de toutes. L’expérience de la participation à la gestion des affaires du pays au lendemain de l’alternance, peut–être acceptée comme un facteur bénéfique au renforcement de notre crédibilité en tant que force politique capable de jouer un rôle majeur dans le Sénégal de demain ». Le discours de gauche perdra sa teneur idéologique, politique et sa saveur culturelle révolutionnaire au fil de l’exercice du pouvoir du premier changement de régime. Certains partis politiques de gauche ne se réclament plus ouvertement de l’idéologie Marxiste.

Le discours de gauche va ainsi se rapprocher par des glissements idéologiques à un discours électoraliste. Le discours du changement se dilue dans le jeu politicien traditionnel. Les critiques acerbes de la Gauche contre le Pds qui ont prévalu durant les premières années de la création de la formation libérale s’amenuisent. Les partis de gauche révisent leurs programmes. Moins de hargne dans le discours anti–impérialiste ou de rupture annoncée et autoproclamée avec le capitalisme et le libéralisme sauvage. Les critiques contre les politiques édictées par le FMI, la Banque Mondiale et les pays du Nord deviennent rares, voire mitigées. Certains partis s’en accommodent, même parfois se renient.

Un véritable changement d’orientation stratégique et tactique politique se dessine à l’horizon des forces de gauche. C’est à peine si les partis de gauche n’enterrent pas le Marxisme–Léninisme. «Le réalisme politique n’est pas un mal en soi, comme du reste, le radicalisme n’est pas un bien en soi. L’enjeu est de disposer d’une orientation conforme au contexte, aux données politiques, sociales et culturelles et de garder la perspective avec des hommes de qualité, sans cesse soumis aux rigueurs de la critique et de l’éthique révolutionnaire. Ce que Abdoulaye Wade et plus tard Macky Sall ont bien compris et manœuvré pour davantage les diviser et les affaiblir.

La gauche à l’avènement de la première alternance

L’alternance de mars 2000 a porté au pouvoir des responsables des partis de gauche en alliance avec des libéraux. Certains responsables affichent dès les premières heures de l’alternance des préoccupations petites bourgeoises « matérialistes » manifestes, dispositions de pouvoir, de prestiges, de préséances.

Ces dirigeants seront plus soucieux des positions d’accaparement des postes ministériels. Ces postures des chefs de partis de la gauche ont permis à certains responsables d’accéder à des fonctions de prestige. Les influences du pouvoir et de l’argent, ont créé au fil de la participation à la gestion des affaires publiques un malaise dans les rangs de certains partis de gauche. Certains responsables de partis de la Gauche ont été détournés par des aspirations petites bourgeoises. « La machine de gauche s’est politiquement grippée à force de vouloir s’agripper aux privilèges du pouvoir sans convaincre sur les bonnes raisons de pactiser avec ce qu’elle a toujours dénoncé » écrivait Amadou Kâ, dans son œuvre « De la lutte des classes à la bataille des places ».

Les responsables des partis de gauche seront discrédités par l’impact de ce phénomène de ruée vers des postes et des privilèges. C’était, peut–être, prévisible en raison de l’impact de la crise idéologique. Les dirigeants ne sont attirés que par le pouvoir et l’argent. La gauche a joué un rôle décisif dans le processus des conquêtes démocratiques, la chute du régime socialiste en mars 2000 et l’avènement de de la seconde alternance politique en mars 2012. Un fait important à souligner : l’alternance pacifique des années 2000 et 2012, n’a pas porté les partis de gauche au pouvoir. Les partis de  gauche, sans être hégémoniques, ont néanmoins occupé une place stratégique dans les changements en 2000 et en 2012.

Toute la difficulté du suicide de classe réside dans la capacité du militant ou du responsable politique à résister et à vaincre les tentations que lui offrent la société capitaliste de consommation et ses valeurs sociales, culturelles pour aliéner sa conscience de classe. Les difficultés des militants et des responsables politiques des partis de gauche à rompre avec les aspirations petites bourgeoises demeurent encore des questions auxquelles tous les partis de gauche sont confrontés. Cette gouvernance entre les acteurs de la gauche et le nouveau pouvoir libéral sera parasitée par des divergences entre le Pds et certaines franges des partis de la gauche.

En effet, il ne s’agit pas pour cette gauche de se rassembler face aux libéraux et aux Républicains, mais de s’allier aux libéraux et Républicains qui sont acquis à l’approfondissement des Libertés démocratiques, et à la rupture avec le capitalisme libéral. Il s’agit de rompre avec les politiques d’ajustement structurel, et d’austérité budgétaire qui renforcent la dépendance du pays. Ces politiques aggravant l’appauvrissement des travailleurs et des paysans.

2012, une continuité… ?

Le Président de l’Alliance Pour la République (APR) utilise également le fait d’avoir été un ancien responsable du Parti Démocratique Sénégalais. Certains libéraux l’ont rejoint. « Depuis son accession au pouvoir, le chef de la majorité présidentielle réussit à faire passer l’image d’un homme politique ayant choisi de mettre fin aux clivages idéologiques. Apparemment il est parvenu à son but en réunissant tous les courants idéologiques autour de sa personnalité, de son parti et de son gouvernement. L’Alliance Pour la République compte ainsi de nombreux militants de la gauche et des anciens libéraux du Pds. Certains sont devenus des partisans du pouvoir et du parti au pouvoir. Ils sont à la charge de la Présidence de la République devenant depuis 2000 un des pôles de créations d’emplois les plus sûrs et de recyclage des politiciens du Sénégal » considère l’auteur de « Les enjeux de la renaissance des partis de gauche ». Selon Mamadou Albert Sy, l’absence de volonté politique pour exiger le changement réel des conditions de vie des populations et des réformes politiques fondamentales pour mettre fin au « Présidentialisme néocolonial » et à la gouvernance du parti dominant est manifeste au cours de ces deux dernières décennies.

Les partis de la gauche perdent au fil des deux alternances l’esprit critique qui a fait la gauche à travers des luttes et le refus des compromissions. Les Conclusions des Assises de l’opposition au régime du Pds n’engagent plus, ni le Président de la République, ni ses alliés. Le phénomène de la transhumance a été dans le passé le propre des militants du Parti Socialiste et du Parti Démocratique Sénégalais. On passait de l’une de ces formations à l’autre. Les militants de gauche sont aujourd’hui au centre de ce marché politicien de la transhumance. Ils sont enchaînés des pieds et des mains par le parti présidentiel.

Le pouvoir utilise tous les moyens pour garder au frais ou plutôt à sa périphérie des responsables et chefs de partis de la gauche pour discréditer ses acteurs et les affaiblir politiquement aux yeux de l’opinion publique nationale et internationale.

Au cours des deux alternances, les partis de gauche soutenant l’action des Présidents de la République en exercice, notamment, Abdoulaye Wade et Macky Sall, ont bénéficié à ce titre, de subventions et de privilèges financiers. En contrepartie, les responsables se sont soumis au diktat du parti au pouvoir.

Ces procédés ont provoqué des remous dans les rangs des partis alliés. And–Jëf et la Ld/Mpt ont vécu des tensions. Tous les partis sont désormais soumis au diktat d’un bailleur de fonds principal, qui n’est autre que le chef du parti présidentiel. Celui qui finance impose ses choix : son orientation, ses fidèles, les membres de sa famille et de sa communauté. Les alternances ont fini paradoxalement par faire du Président de la République, chef du parti présidentiel et de la coalition soutenant ses politiques publiques, le financier de sa formation et de ses souteneurs. Le Président de la République se sert, sert ses responsables, ses militants et les partis alliés.

Les partis de gauche ont désormais les yeux rivés sur des postes, des privilèges et la préséance. Dès que l’heure du remaniement ministériel ou des élections locales et législatives sonne, les partis de gauche se soumettent à la volonté du chef de la coalition présidentielle.

Les manœuvres, tractations, calculs politiciens se mettent en œuvre pour des objectifs inavouables : avoir plus d’influence auprès du chef de la majorité présidentielle et plus de postes attribués à sa formation que l’on redistribue à sa guise. Le jeu politicien a atteint un degré inédit avec des querelles internes et des séparations douloureuses. Les militants de base ne comprenant pas réellement ce qui se passe dans l’opacité totale. Tout se négocie entre les chefs de partis au plus haut niveau du pouvoir.

Les partis de gauche tournent la page du changement de régime, des mentalités et des comportements. La lutte des classes semble être désormais derrière les anciens partis de la gauche. Les chefs de parti de la gauche se plient au réalisme politique. On ne devrait pas occulter les faibles capacités financières et organisationnelles des partis de gauche. Les partis de gauche ont très peu de moyens financiers pour gagner des élections nationales et / ou locales. L’argent a fait son irruption dans le jeu politique électoral, dans les mentalités des chefs de partis, des militants, des électeurs de base et dans le jeu politique.

En effet, il n’y a pas un événement de l’histoire post–coloniale du Sénégal qui a eu autant de répercussion dans tous les domaines de la vie nationale que celui de mai 1968. Ces évènements sont fondateurs dans le sens du pluralisme politique, et à la limite même, déclencheurs.  D’ailleurs, le Président Senghor s’était rendu compte à quel point le Parti du Regroupement Africain/ Sénégal appelé, PRA/ Sénégal et l’Union Progressiste Sénégalais, UPS ne servaient pratiquement à rien. Il fallait donc, pour le Président Senghor, à l’époque, jouer sur trois choses essentielles. Comme le considère Diop Decroix, « la gauche n’a pas exercé le pouvoir d’État en Afrique ».

Compte tenu du contexte politique qui a abouti à deux alternances qui ne semblent toujours pas porter leurs fruits, la réapparition d’une gauche capable de créer cette « alternative que prônent Bathily ou encore Decroix » n’a–t–elle pas sonné ?

 

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