Edito-Le parrainage politique : consolidation ou fragilisation de la démocratie ?
A la faveur de l’approche des élections législatives, l’opposition sénégalaise et certains activistes semblent nourrir, à nouveau, un regain d’intérêt pour l’élimination du système du parrainage. Jugé anti-démocratique et anticonstitutionnel, certains acteurs politiques et citoyens y voient un subterfuge des gouvernants pour exclure la concurrence. En vérité, le débat sur le parrainage politique transcende nos frontières. Ce filtre, de plus en plus adopté en Afrique à travers des réformes, suscite des positions assez clivées. Toutefois, sous réserve de certaines critiques qui peuvent légitiment lui être adressées, un débat sans passion sur sa pertinence s’impose.
Eviter les candidatures fantaisistes à travers le parrainage …
Face à l’équation des candidatures fantaisistes qui rendent les élections techniquement très difficiles, le parrainage s’est imposé comme remède. Ce dernier est un système de filtrage qui a le mérite de permettre aux seuls candidats « méritants et qualifiés » de se présenter devant les électeurs. Il permet également d’éviter le nombre pléthorique de candidatures et ainsi limiter les dépenses faramineuses de la gestion du processus électoral. Mieux encore, à en croire Dominique Gély, le parrainage est nécessaire parce qu’il favorise, entre autres, un « débat serein et égal entre les candidats » que la multiplicité de candidatures compromettrait. En clair, la nécessité de la mise en place du parrainage se justifie par des constats empiriques que révèle la pratique électorale. A titre d’exemple, au Sénégal, les listes de partis, de candidats indépendants et de coalitions de partis, pour les législatives du 30 juillet 2017, étaient dénombrées à 47.
Cette situation avait créé un remous au sein de la classe politique et chez de nombreux citoyens qui avaient, en son temps, dénoncé un désordre auquel il fallait remédier. Ainsi, en 2017, le Sénégal a opté pour le parrainage à l’élection présidentielle et aux élections législatives par les électeurs citoyens. Une réforme en 2018 l’a étendu aux candidats des partis politiques ou coalitions de partis et a permis d’augmenter les exigences, notamment en nombre et répartition des parrainages. Il faut par conséquent un nombre d’électeurs compris entre 0,8 % et 1 % du fichier général répartis sur au moins 7 des 14 régions du pays et à raison de 2.000 au moins par région, selon la loi N°2018-22 Du 04 Juillet 2018 portant révision du Code électoral.
Le parrainage transcende nos frontières
Le Sénégal n’est pas un no man’s land. En effet, à part notre pays, les Etats ayant adopté une législation sur le parrainage, afin de consolider leur démocratie sont nombreux à travers le monde. Bien que relativement récent en Afrique, le parrainage a été consacré, il y a longtemps, dans beaucoup de vieilles démocraties. Ainsi, pour les candidatures à l’élection présidentielle, le Bénin a opté en 2019 pour le parrainage par 10% de l’ensemble des députés et des maires. Le Mali a, en 2016, opté pour le parrainage par 10 députés ou 5 conseillers communaux et l’Égypte pour le parrainage par au moins 20 membres de la Chambre des représentants ou par au moins 25 000 électeurs répartis dans au moins 15 gouvernorats avec un minimum de 1000 électeurs par gouvernorat.
D’autres modes de parrainage, généralement moins contraignants, en particulier pour des candidatures indépendantes, existent dans quelques pays. Par exemple, en Ile Maurice, il faut le parrainage d’au moins 6 électeurs de la circonscription, alors que les candidats sans étiquettes ont besoin au Rwanda d’au moins 600 électeurs inscrits (dont au moins 12 par district) et au Kenya de 1000 électeurs inscrits dans la circonscription.
Au-delà de l’Afrique, en Allemagne, pour les candidatures aux législatives des partis non-établis ou des citoyens, il faut le parrainage d’au moins 200 électeurs dans la circonscription concernée. En Belgique, il faut le parrainage de 200 à 500 électeurs selon la dimension de la circonscription électorale ou de 3 parlementaires sortants alors qu’en France, depuis 1962, il faut 500 parrainages d’élus pour l’élection présidentielle.
Dès lors, si en théorie il est louable de clamer haut et fort, le droit pour tout citoyen, de se représenter à une élection, s’il en remplit les conditions, une analyse factuelle basée sur la réalité du terrain permet de rendre compte qu’une consolidation de la démocratie ne s’accommode pas d’une vision chimérique de celle-ci.
Toutefois, force est de reconnaitre qu’au Sénégal, lors de la dernière élection présidentielle, la validation des candidatures a été particulièrement controversée en raison de l’application de la loi sur le parrainage qui s’est traduite par l’élimination de l’écrasante majorité des candidats à la candidature. Sur les 27 dossiers déposés au niveau du Conseil constitutionnel, 20 ont été invalidés pour non satisfaction des exigences du parrainage. Dès lors, si on peut légitimement plaider pour une amélioration du système du parrainage, il serait, par contre, impertinent jeter tout bonnement le bébé avec l’eau du bain.