La nouvelle ligue de vertu (Par Sidy Diop)

arton121209

La nouvelle ligue de vertu (Par Sidy Diop)

Si Ousmane Sonko a bien réussi une chose, c’est bien de faire passer ses « affaires » aux yeux d’une frange de l’opinion pour un procès du vice contre la vertu.

Sonko et le Pastef voudraient incarner une école de vertu où la révolution exerce une vocation pédagogique affirmée par le biais des personnifications. Les actions morales des individus sont appréciées en fonction de leur statut social. Dans le face à face du gouvernant et du patriote, la confrontation de l’adepte du « nguuru » (jouissance des privilèges du pouvoir) et du républicain, la rencontre de l’homme gagné aux idées révolutionnaires et du partisan du statu quo, le citoyen subit un formatage pour toujours percevoir une confrontation du vice et de la vertu, du présent et du futur. Cette nouvelle ligue de vertu ne vise rien de moins qu’à briser les tabous et à briser les idoles. Ce gimmick pastéfien promet un nouveau monde où rien ne sera plus comme avant. Et, il faut l’admettre, même le commentariat peine à dissimuler une forme de compréhension, quand ce n’est de la fascination pour cette geste révolutionnaire.

Pour cette tyrannie de l’instant et de la transparence qui transforme l’homme public en cible des meutes numériques. Nous sommes pris dans un biais cognitif qui fausse notre jugement et nous enjoint de rester dans l’air du temps. S’en défaire, c’est s’exposer à la proscription, à la calomnie.

Comment jouer au nouveau monde en négligeant les vertus que nous enseignait l’ancien ? Car, il faut le dire, la posture de Sonko détonne dans une culture qui valorise le respect et la retenue. Ses sorties sont toujours des réquisitoires à charge contre tous ceux qui ne pensent pas comme lui, ou qui défendent un projet politique différent du sien. « Aar Sénégal » et, aujourd’hui, ses alliés de Takhawou, se rendent compte de ses capacités à être velléitaire, contradictoire et à faire chuter ceux qu’il a avantageusement portés s’ils optent pour une autre voie. Qui, finalement, trouve grâce aux yeux de cet ambitieux qui regarde la « bonne société » avec des envies assumées d’effacement ? Le système, Babylone des temps modernes qu’il dépeint sous les pires traits, est le principal sujet de sa guerre civile. Il avait déclamé ses envies de « fusiller » les anciens présidents qui ont mis en place un type de gouvernance qui, à ses yeux, « a érigé la prévarication en mode de gestion ». Ce qui ne l’empêche pas de multiplier courbettes et génuflexions dans les familles maraboutiques, ces autres piliers du système. Ou de distribuer des certificats de virginité politique à d’anciens caciques des pouvoirs passés pour, dit-il, « combattre le système par le système ».
Autour de lui, nombre de « leaders » politiques, convertis à sa nouvelle religion, marmonnent ses sentences du bout de la langue, mais guettent fiévreusement une sortie de route pour faire main basse sur la communauté de ses fidèles… électeurs. Car, « la vertu a bien des prédicateurs et peu de martyrs ».

*Parlez-moi de la vertu… politique*

A l’origine une notion philosophique et morale, la vertu est devenue au Sénégal, par la force des choses, un concept très politique. Il s’est fortifié au gré des errements des politiques et de la volonté des citoyens d’en finir avec la licence en matière de gouvernance. Le mot revient, sans cesse, dans le discours politique, cinglant comme un rappel. C’est un appât pour endormir la vigilance de l’électeur comme le bout de chair blanchâtre qui scintille à la pointe de l’hameçon pour attirer le poisson.

Le dictionnaire nous apprend que la vertu est « une disposition habituelle, un comportement permanant, une force avec laquelle l’individu se porte volontairement vers le bien, vers son devoir, se conforme à un idéal moral, religieux, en dépit des obstacles qu’il rencontre ». Vu sous cet angle, c’est le parfait adjuvant en politique. Chez nous, la force morale, le « bon » caractère sont des ingrédients indispensables au choix du leader. Senghor s’est signalé par son « humanité ». Abdou Diouf par son « calme », pour ne pas dire sa « réserve ». Me Wade par sa « générosité ». Et Macky Sall par sa « politesse ». Les étiquettes, cependant, ne collent pas toujours à leurs destinataires.

Quand on entre en politique, on se place délibérément sur le devant de la scène. L’adage romain « la femme de César doit être irréprochable » s’applique à chacun au point que l’élu doit se montrer exemplaire. Du Président de la République au conseiller municipal rural, cet élu doit au besoin savoir sacrifier son intérêt pécuniaire à l’intérêt de sa charge. Cela s’appelle la grandeur. L’autre mot pour désigner la vertu. Chez nous, comme ailleurs, les politiques usent et abusent de mots enchanteurs au moment de faire la « cour » au peuple-électeur. Ils veulent servir (le peuple) qu’ils disent. C’est lui le souverain, le commandeur citoyen. Le temps d’une élection, les hommes politiques sont modestes comme Job. Une fois élus, ils sont puissants et riches comme Crésus. N’allez pas leur rappeler leurs promesses qui n’engagent que ceux qui y ont cru. Ils mènent campagne en poésie, mais gouvernent en prose, pour reprendre la formule de Mario M. Cuomo, ancien gouverneur démocrate de New York.

Nos sages aiment à rappeler que la vertu n’a ni âge, ni parti, ni ethnie, ni couleur. Elle est apatride. Elle ne peut être domestiquée, apprivoisée. La vertu est plus épaisse que la simple bonne intention. La bonne foi, la sincérité ou encore l’amabilité ne se décrètent pas, elles s’imposent d’elles-mêmes. Souvent, on s’attache au vice alors que l’on croit s’accrocher à la vertu. Car la vertu est la sœur jumelle du vice. C’est sans doute ce qui explique le décrochage de certains politiques qui promettent, toujours, une société gouvernée par la bonne pratique pendant qu’ils aspirent, pour les leurs et pour eux-mêmes, à une vie sans écorchure. Peut-être qu’ils ont en tête la formule de Nietzsche : « On n’est jamais si bien puni que pour ses vertus. »

Sidy Diop

→ A LIRE AUSSI : «Notre unique plan, de A à Z, pour l’élection présidentielle de 2024, reste et demeure Sonko»(BP Pastef)

→ A LIRE AUSSI : (Vidéo) Après la sortie de Sonko, la réplique salée de Barthélémy Dias au leader de Pastef

→ A LIRE AUSSI : Condamnation de Sonko : L’importante déclaration de Jean-Luc Mélenchon

pub