Niger, Mali & Burkina Faso : La Culture, cet incroyable instrument d’influence !

Mali Burkinaa

La note du Quai d’Orsay recommandant à suspendre toute Coopération culturelle avec les artistes de pays africains témoigne de l’inévitable politisation de la culture par les pouvoirs politiques ; au même titre que les appels à la censure d’œuvres et d’auteurs  russes, à cause de l’invasion de l’Ukraine.

 

Adressé, en France, au SYNDEAC (Syndicat national des Entreprises artistiques et culturelles), pour exiger la suspension “sans délai et sans aucune exception“ de “tous les projets de Coopération“ menés avec “des Institutions ou des ressortissants“ du Burkina Faso, du Niger et du Mali, le courrier des DRAC (Directions Régionales des Affaires culturelles) a provoqué une levée de boucliers rare au sein du monde de la Culture. Ainsi, la soudaineté de cette décision, la tonalité brutale de la missive, la radicalité de la démarche avaient, en effet, de quoi susciter incompréhension et colère.

Le virus de la suspicion

La réponse des autorités françaises, confuse et illisible, permettra peut–être de faire baisser la pression, mais il y a fort à parier que le virus de la suspicion restera actif dans l’esprit des acteurs d’un secteur manifestement choqué de découvrir que la Culture, dans l’esprit du pouvoir, n’est jamais qu’un instrument d’influence parmi d’autres. Si certains, dans l’Hexagone, peuvent se payer le luxe de la naïveté, les artistes africains, eux, ne peuvent se le permettre. Faut–il rappeler, en guise d’exemple, que la conscience coloniale française s’est enracinée en grande partie par le biais de l’Éducation et de la Culture.

Paul REYNAUD – alors ministre des Colonies – saluait, en 1931, l’ouverture de l’Exposition coloniale, en ces termes qui suivent :

« Le but essentiel de l’exposition est de donner aux Français conscience de leur Empire, pour reprendre le mot des hommes de la Convention. Il faut que chacun d’entre nous se sente citoyen de la plus grande France, celle des cinq parties du monde…La France métropolitaine a le plus grand territoire de l’Europe après la Russie. Elle n’est cependant que la vingt-troisième partie de l’Empire français. »

Entre Mai et Novembre 1931, cet événement attira plusieurs dizaines de millions de visiteurs.

Dans “ L’Idée coloniale en France, 1871-1962 “, Raoul GIRARDET nous rappelle qu’ “ entre les deux guerres, de nombreux livres et tant de films aussi ont appelé toute une génération de Français à porter vers les montagnes du Hoggar ou les brousses du Soudan leurs rêves d’évasion et d’aventure “, que ces œuvres culturelles ont contribué à faire entrer « l’exotisme colonial… dans le décor de la vie quotidienne », et estime remarquable que même « les poufs et les poignards marocains s’introduisent dans l’appartement des petits bourgeois parisiens. »

Aphonie assourdissante

Plus près de nous, la guerre en Ukraine nous a offert un exemple saisissant du caractère éminemment politique de la Culture, ou en tout cas de son inévitable politisation par les pouvoirs politiques. Des appels à la censure d’œuvres et d’auteurs russes se sont ainsi multipliés dans les principales Capitales européennes, dans le sillage de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Des spectacles ont été déprogrammés ; des sportifs biélorusses et russes ont été privés de compétitions ou de tournois sportifs. Au sein du monde de la Culture, peu de voix, en France ou en Afrique, se sont élevées pour appeler au discernement, rejeter tout amalgame, exalter les vertus des échanges et du dialogue des Cultures.

Aujourd’hui encore, la censure de “Russia Today & Sputnik“ a l’air faire l’objet d’un consensus en France et en Europe. Certains argueront peut–être que POUTINE étant, à leurs yeux, presque la réincarnation d’Adolphe HITLER, toutes les mesures de rétorsion sont permises. Soit ! Quid de la suspension de l’aide au développement au Niger, au Mali et au Burkina Faso, dont les principales victimes sont les populations les plus pauvres de ces pays ?

La mobilisation du monde culturel contre les oukases du Gouvernement français est certainement légitime. Mais son silence assourdissant, mis à part quelques contre-exemples marginaux, sur des dossiers tout aussi problématiques mais politiquement sensibles, interroge sur le rapport des artistes à leur métier et à leur rôle dans la société.

La fin de la Guerre froide, le triomphe du Capitalisme et l’émergence des États-Unis d’Amérique comme seule superpuissance ont inauguré une ère de grande dépolitisation. Dans les années 1980, à la faveur de la révolution néolibérale, l’idée que l’État –  et derrière lui la politique – était le problème s’est largement répandue. Le règne du libre marché et de l’argent était aussi celui de l’indifférence aux forces qui travaillent l’Histoire.

Assujettissement structurel

 

Petit à petit, la génération des grands intellectuels et artistes engagés, pour qui l’art et la Culture étaient, avant tout, un moyen d’expression politique, a perdu du terrain, au profit d’une Culture populaire démonétisée, standardisée, largement dépolitisée.

Tout naturellement, comme l’a montré le geste de la DRAC, la dépendance structurelle de la Culture au pouvoir politique a participé, pour une grande part, à aseptiser les productions artistiques. D’ailleurs, certains s’époumonent à nous convaincre du contraire, mais la vérité est que celui qui finance décide en dernier ressort.

Mais avec la guerre en Ukraine, nous avons définitivement basculé dans un Nouveau Monde. La guerre est de retour sous toutes ses formes (informationnelle, économique, cinétique, etc.) Les blocs se reconstituent ; de nouvelles alliances, économiques – autant qu’idéologiques – voient le jour, avec l’ambition de bousculer l’Ordre mondial.

Un tel paradigme se prête mal aux faux-semblants. Chacun projette sa puissance, car la faiblesse se paie au prix fort. Le Gouvernement français a les deux pieds dans ce Nouveau Monde. Et le monde de la Culture ?

 

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