Entre pensés et dires : Dans un jeu de haine…
Ils les veulent vertueux mais les préfèrent roublards. Ils les fascinent dans un jeu de haine quand ils assurent un spectacle. Les voici arpentant une salle des pas perdus, un regard hermétique.
Des lèvres murmurant des mots énigmatiques. Des hommes et des femmes qui ne semblent plus croire à ce qu’ils sont, attendant que le « maître » rende ses oracles. Une fois le livre ouvert, que l’annonce des présages s’oppose à des désirs, beaucoup s’engouffrent dans un couloir de désillusions. Inspirés par leurs ressentiments, ils étalent un courage. Des palpitations douloureuses soulèvent une excitation violente. Des « parfums » sont brûlés et des vapeurs couvrent des rancœurs. Des exhalaisons, des effluves d’autorité, de crédibilité d’une parole redécouverte, d’une justice réincarnée… Une versatilité… L’inconsistance, l’instabilité politique chantée… Ainsi des constantes du jeu politico–médiatique où, souvent, une confiance se casse comme un élastique tendu.
En politique, cependant, quand arrive le temps des séparations, certains partent avec leur dignité, la laissant s’exprimer à travers un silence qu’ils portent à merveille. Nullement offensés par des regards d’hostilité ou d’amusement qui courent vers eux. Heureux d’être restés eux–mêmes. Portés par ce devoir de servir sans chercher à plaire ou à nuire, ils ne sont jamais obnubilés par une approbation, une désapprobation, une récompense. Point bridés par des critiques ou des représailles. Toujours affligés par cette servilité de cour et ces courbettes de plus en plus magnifiées. Ils ne sont rien à côté de ces maquisards, obsédés, rebutants, mais qui ne rechignent jamais. Même à la sale besogne. C’est peut–être leur marque de fabrique et ils pullulent dans des allées de décision et de pouvoir. En embuscade, farouches comme pas deux.
Dans une récusation de ce qu’on proclamait, louait et agréait naguère, c’est avec une prodigalité sublime qu’on distribue des invectives et des injures. Rassemblant une meute qui vous trouve sensationnel. Jusque dans une vulgarité. En gros caractères sur des manchettes de journaux, un buzz soufflé par des milliers de lèvres… Aussi, avec beaucoup de vanité et d’inconscience, l’annonce est faite d’incarner une nouvelle ligne, voire une nouvelle génération politique. Une volonté est proclamée de bousculer des tabous… Que n’oserait–on pas par temps de défiance ? Seulement, une nouvelle surenchère politicienne qu’on finit toujours par découvrir dans une stupeur et un désarroi. N’empêche, en réaction à cet expédiant du jeu politico–médiatique, une horde aboyant mieux pour cerner une proie, la marginaliser et l’abattre politiquement. Le seul plaisir des maquisards sortis de leur retraite pour armer une bande : envoyer un signal au « maître » des oracles pour demain renaître de leur bannissement. Par le secours de leurs bras, leur fourberie, la ferveur de leur voix qui ont su chasser des soucis avec des instantanés de vie, des mots stupides, des mots cyniques, des mots d’un passé composés pour un “vilipendage“. Contrairement à cette sagesse qui enseigne : « Bu ngeen du xuloo buleen xastante !»
Peut–être faut–il être rompu à une psychologie des abîmes pour jouer dans une cour de politiciens. Pouvoir placer un instrument de « crime » dans l’esprit de sa victime pour qu’elle décide de se perdre. Autrement, recycler à tout va, laver plus blanc des « vermines » contre lesquelles on disait entrer en politique, tuer le père… Un fait, pas nouveau, qui passionne. D’ailleurs, quand, au pinthie de Mboth, Lamine Guèye présentait Léopold Sédar Senghor aux dignitaires lébous, certains, réputés pour leur franc–parler, l’avaient mis en garde publiquement. Ils n’avaient pas confiance en celui que Lamine disait être son dauphin. Il avait « une nuque de traître », jugeaient–ils.
Plus tard, dans l’affrontement entre “laministes“ et “senghoristes“, au cours d’une rencontre où d’aucuns signifiaient à leur leadeur que les masses s’étaient détournées de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) au profit du BDS (Bloc Démocratique Sénégalais), d’autres tentaient de le rassurer en déclarant que les bonnes gens étaient “laministes“. « Elles ne sont pas nombreuses », rétorquait Lamine Guèye.
Les bonnes gens ne seraient toujours pas nombreuses dans un jeu politicien où il est fréquent qu’un signe signifie autre chose que ce qu’il désigne. Car, vivre à expliquer une aversion soudaine, confesser une erreur qui n’en est pas, payer et faire payer un martyr… Voire, demain, se décrédibiliser en faisant à nouveau allégeance ou fuguer pour échapper à une traque actuelle ou à venir… Une si farouche bravoure ne brille pas sous n’importe quel talent. Au demeurant, quand, selon le poète et résistant René Char, les mots qui surgissent savent de vous des choses que vous ignorez d’eux, ne faut–il pas parler comme William Faulkner : « Je ne sais pas trop si l’on a le droit de dire qu’un homme est fou ou non. » Certainement, espérer que tout se passera pour le mieux et se préparer au pire.