Conflit Russo-Ukrainien : non alignement du Sénégal, que cache cette position?

trump

Le 2 mars dernier, 147 pays ont voté en faveur d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations-Unies condamnant l’invasion russe en Ukraine. En Afrique, 28 États ont suivi cette mouvance alors que 17 dont le Sénégal, se sont tout simplement abstenus. Les commentaires sont allés bon train sur la position « surprenante » du Sénégal. 

En réaction, l’ambassadeur d’Ukraine à Dakar dit « comprendre » la position des autorités sénégalaises quoiqu’il aurait souhaité voir notre pays prendre parti ouvertement dans ce conflit en faveur de Kiev. Yurii Pyvovarov qui recevait Dakaractu, trouve que c’est une guerre entre le « bien et le mal ».

Dans sa chronique du lundi 7 mars, le journaliste Madiambal Diagne exprime son étonnement quant au vote du Sénégal que rien ne justifierait, selon lui. En Conseil des ministres, le président Macky Sall s’est expliqué en « réaffirmant l’adhésion du Sénégal aux principes du non-alignement et du règlement pacifique des conflits ».

Le chef de l’État a aussi exprimé sa vive préoccupation face à la situation en Ukraine en rappelant que « dans l’esprit des deux communiqués publiés en sa qualité de président en exercice de l’Union Africaine, il a réitéré l’attachement du Sénégal au respect de l’Indépendance et la souveraineté des États, ainsi qu’à l’application sans discrimination des règles du droit international humanitaire en situation de conflit. N’est-ce pas là une des clés pour comprendre la position sénégalaise ? Président en exercice de l’Union africaine depuis février 2022, le président Sall pouvait-il prendre le risque de s’aligner dans un camp ou dans un autre au risque de créer une confusion ?

Éviter une confusion entre le vote du Sénégal et celui de l’UA

Chercheur en sciences politiques, Mouhamadou Lamine Bara Lô voit un « risque de confusion » même si « le vote du Sénégal n’est pas celui de l’Union africaine ». C’est pour éviter cette confusion que l’Ouganda qui préside actuellement le mouvement des non-alignés, composé de 120 pays, s’est également abstenu. Pendant ce temps, le vote malien est interprété comme une évidence compte tenu du rapprochement entre Bamako et Moscou dans un contexte de tension avec la France accusée d’ « abandon en plein vol » dans la lutte contre le terrorisme.

Dakar n’est pas dans le même cas, mais a développé son portefeuille de partenariat, suivant un nouvel ordre mondial ouvrant de nouvelles perspectives avec des pays autres que les partenaires traditionnels. Dans cet esprit, les échanges commerciaux avec la Russie se sont intensifiés. Interviewé par Dakartimes, l’ambassadeur de la Fédération de Russie, Dmitry Kourakov affirme que ces échanges se sont élevés à 370 millions de dollars entre janvier et octobre 2020.

Dans le même article, le diplomate russe fait savoir que 73% des exportations soit 268 millions de dollars concernaient des produits minéraux, 17% ou 60,9 millions de dollars était en rapport avec le blé tandis que 6,6% représentant 24 millions sont consacrées aux produits chimiques. Les papiers et cartons viennent en dernière position avec 1,7% des exportations, soit 6,3 millions de dollars. La balance étant déficitaire, le Sénégal n’exporte que pour 2,6 millions de dollars vers la Russie.

En parallèle, les échanges commerciaux avec l’Ukraine évalués par Cheikh Mbacké Sène dans une contribution relayée par plusieurs médias fait état de 101,58 millions de dollars dans la période de janvier à octobre 2021. L’analyste économique précise que les postes des exportations ukrainiennes concernent la fonte, le fer et l’acier (84,5%), les graisses, huiles animales ou végétales (10,0%) et les céréales (1,7%). Au même moment, le Sénégal exporte pour une valeur de 2,1 millions de dollars des légumes et fruits mais aussi des produits halieutiques.

Comparaison faite, les échanges commerciaux avec la Russie sont plus fluides et semblent plus bénéfiques pour le Sénégal. C’est d’autant plus le cas qu’une étude de l’ANSD renseigne qu’en 2019, le blé a représenté 2,5% des importations, se chiffrant à 107 milliards FCFA. La Russie arrive en tête des pays fournisseurs avec 51% des importations sénégalaises de froment et méteil. Elle est suivie de la France (32,2%), de l’Ukraine (6%), du Canada (4%) et de l’Argentine (3,3%). La même étude a relevé qu’entre 2018 et 2019, l’Ukraine a perdu des parts de marché au profit de la Russie. Dans un entretien avec « Le Quotidien », l’ambassadeur d’Ukraine reconnaît que les relations économiques entre Kiev et Dakar n’ont pas atteint le niveau espéré.

Consolidation des relations diplomatiques russo-sénégalaises ou expression d’une nouvelle doctrine diplomatique ? 

Cet état de fait ne reflète-t-il pas l’état actuel des relations entre les deux pays ? Ce qui le prouve, le Sénégal ne dispose toujours pas d’ambassade en Ukraine couverte pour le moment par l’ambassadeur en poste en Pologne. Analysé sous ce prisme, le Sénégal ne fait-il pas preuve de réalisme en évitant de contrarier un allié sur lequel il compte pour gérer une situation nationale on ne peut plus délicate ? Malgré ses efforts pour rendre plus accessible le blé, l’État du Sénégal n’a pu empêcher une hausse du prix du pain.

Une nouvelle hausse engendrée par la flambée de cette céréale mettrait les autorités dans une position inconfortable et saborderait la logique dans laquelle s’est inscrit le président Macky Sall pour reconquérir le cœur de ses compatriotes en vue des prochaines échéances électorales.

Le réalisme défendu par l’analyste politique Thierno Diop et dont font montre les autorités dans ce conflit était déjà en pratique dans le conflit israélo-palestinien. Après avoir porté la résolution 2334 contre les colonies israéliennes en 2016, le Sénégal a lâché du lest à la suite des représailles de l’État hébreux. Depuis, Dakar qui préside pourtant le Comité des Nations-Unies pour le respect des droits inaliénables du peuple palestinien, s’est montré timide dans le dossier de l’adhésion d’Israël à l’Union africaine comme observateur. Même refilée à la Conférence des chefs d’État de l’organisation panafricaine, la question n’a pas été vidée. La voie du dialogue est privilégiée sous la conduite d’un comité ad hoc dirigé par…Macky Sall. Même sur la crise malienne, le Sénégal fait partie des pays qui ont pesé pour que certains produits comme les denrées de première nécessité, les hydrocarbures et les produits pharmaceutiques soient exemptées par les sanctions économiques. Ce n’est pas de l’indulgence. Il s’agit de sauvegarder le fret malien dont 70% passe par Dakar.

Cette nouvelle doctrine a été explicitée par Aïssata Tall Sall à l’occasion de la visite du secrétaire d’État américain, Antony Blinken en novembre 2021. « Les fondamentaux restent les mêmes sous tous les cieux, dans tous les pays. Mais le Sénégal a une particularité. C’est de définir d’abord la priorité diplomatique comme une diplomatie de bon voisinage déjà parce que nous considérons que la paix chez nous, autour de nous est quelque chose de fondamental et que notre diplomatie doit nous apporter cela avant de se déployer ailleurs. Une autre règle fondamentale, c’est celle de la non-ingérence. Le Sénégal n’intervient pas quand c’est des questions dévolues à des États amis », avait rappelé le chef de la diplomatie sénégalaise. Sauf que les États n’ont pas d’amis mais que des intérêts à sauvegarder. Sur ce tableau, il ne serait pas surprenant de voir la position du Sénégal évoluer en faveur du camp occidental. Le vote en faveur d’une commission d’enquête internationale sur les violations des droits humains et du droit humanitaire en Ukraine est très révélateur de cet éventuel revirement.

 

 

→ A LIRE AUSSI : Sénégal vs Egypte – Stade Abdoulaye Wade : un communiqué de la fédération sortira d’ici le 20 mars pour plus de précisions sur la vente des tickets.

→ A LIRE AUSSI : Double confrontation Egypte-Sénégal : la liste post-sacre de Cissé pour ce 18 mars !

→ A LIRE AUSSI : (Photos) Incendie à la “salle de vente” : Le maire de Dakar Barth constate les dégâts

pub