Le Printemps des coups d’Etat (Par Yoro Dia)
Durant la guerre froide, les Américains avaient lancé la politique du «containment», c’est-à-dire la volonté d’endiguer l’avancée communiste qui ne cessait de progresser grâce à l’effet domino qui voulait que, dans une zone, si un pays sombrait dans le communisme, d’autres risquaient de suivre à cause de l’effet de contagion. Aujourd’hui en Afrique de l’Ouest, il y a un véritable effet domino des coups d’Etat. Et il urge pour l’Union africaine et la Cedeao de trouver une bonne politique de «containment» pour arrêter l’effet de contagion et la banalisation des coups d’Etat car, «entre 1950 et 2000, 53 pays ont subi 85 coups d’Etat ayant abouti à des changements de régime. Après une période de répit dans les années 90, le continent africain est celui qui a connu le plus de coups d’Etat dans les années 2000, avec 27 tentatives de putsch», écrit le Général Sène, ancien Haut commandant de la Gendarmerie nationale, dans son livre titré : Implication des Forces de sécurité et de défense dans le processus de démocratisation de l’Etat au Sénégal.
Ce qui est intéressant de souligner dans les propos du Général, est le constat d’une «période de répit dans les années 90». Cette pause dans les coups d’Etat, dans les années 90, était largement due à la première vague démocratique qui avait submergé le continent et qui a fait passer des pays comme le Ghana ou le Benin, d’un cycle de coups d’Etat à un cycle d’alternances démocratiques. Dans la typologie des nouveaux coups d’Etat, il faut faire la différence entre le coup d’Etat forestier en Guinée, qui résulte d’un règlement de comptes entre Alpha Condé et le Frankenstein, Doumbouya, qu’il a créé, et les coups d’Etat sahéliens, à savoir celui du Mali et du Burkina. Les coups d’Etat du Mali et du Burkina résultent d’un vieux principe qui est à la base de tout contrat social, et merveilleusement résumé par Carl Schmitt, et qui veut que «les hommes donnent leur consentement à la puissance, dans certains cas par confiance, dans d’autres par crainte, parfois par espoir, parfois par désespoir. Toujours cependant, ils ont besoin de protection et ils cherchent cette protection auprès de la puissance. Celui (l’Etat) qui n’a pas la puissance de protéger quelqu’un, n’a pas non plus le droit d’exiger l’obéissance». Même s’il n’y a jamais de putsch vertueux, l’incapacité des démocraties et des pouvoirs civils à arrêter le cancer du jihadisme et du terrorisme, explique le soutien aux coups d’Etat des foules qui ne savent plus à quel saint se vouer.
Ainsi la stratégie de l’insécurité totale et permanente sur tout le territoire, adoptée par les jihadistes, a fini de décrédibiliser les Etats et fortement remis en cause leur légitimité, permettant ainsi aux jihadistes de gagner une grande bataille en instaurant une Fitna au cœur de l’Etat, entre les militaires et les élites civiles.
Les foules qui acclament les militaires vont bientôt leur jeter la pierre, parce que les premiers responsables des défaites devant les jihadistes, sont avant tout les militaires qui ont prêté serment de défendre l’intégrité du territoire. Comme dit l’adage, on ne peut pas se prévaloir de ses propres turpitudes. Un coup d’Etat ne va pas changer radicalement les choses, parce que ce sera toujours la même armée face aux mêmes jihadistes. Au contraire, ils vont faire perdre un temps précieux à leur pays. Et le temps et les divisions politiques sont les meilleurs alliés des jihadistes.
La première vague démocratique qui avait déferlé sur le continent, était exogène parce que partie de la Baule. La deuxième vague, endogène, était partie de Ouagadougou, quand les Burkinabè ont chassé Compaoré, et rien ne l’arrêtera car cette épidémie de coups d’Etat n’est qu’un intermède, avant que les populations ne constatent que la «guerre est une affaire trop sérieuse pour être laissée entre les mains des seuls militaires». Et sur les débâcles militaires au Burkina et au Mali, les militaires sont autant, sinon plus responsables que les civils, parce que comme dit Pio Baroja, «l’Armée doit être le bras armé de la Nation, jamais sa tête». Au Burkina et au Mali, aussi bien la tête que le bras ont failli, et inverser la dialectique par un coup d’Etat n’est qu’une fuite en avant, parce que l’Armée se mue en maître, en lieu et place du Peuple souverain dont il confisque le pouvoir.