Voyage d’études d’une étudiante chercheure sénégalaise : À la découverte des sources du terrorisme au Niger.

Début novembre, 69 personnes ont été tuées dans une embuscade près de Banibangou, dans le département de Ouallam. Pour comprendre ce phénomène, quoi de mieux que de l’approcher de plus près. C’est ce qu’une jeune étudiante sénégalaise a réussi. 

Dans le cadre de sa thèse de doctorat sur l’extrémisme violent et dont le sujet porte sur « La Cedeao face au terrorisme international », Césaltine Médang y a effectué un séjour de 27 jours au mois d’octobre dernier. 

À cette occasion, l’étudiante chercheure a visité beaucoup de villes du Niger concernées par le terrorisme. Elle s’est rendue à Ouallam mais aussi à Tahoua, un peu plus au nord.

Lors de cette mission, elle a eu des entretiens avec les personnes qui sont en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. C’est ainsi que Césaltine Médang s’est entretenue avec le responsable de la cellule antiterroriste. 

Muni de l’autorisation d’accès à tous les services du ministère de l’Intérieur, Césaltine Médang a appris lors de son entretien avec le Directeur adjoint de la cellule antiterroriste que les premières attaques au Niger remontent à 2007 et que c’est à partir de 2010 que les djihadistes affiliés à Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) ont commencé à dérouler un plan d’actions plus sophistiqué contre les intérêts nigériens. En 2011, deux français ont été enlevés à Niamey.

Deux ans plus tôt, deux diplomates canadiens et leur chauffeur de nationalité nigérienne ont été kidnappés à moins de 30 kilomètres de la capitale par la Katiba Al Moulathamoune du djihadiste algérien, Mokhtar Belmokhtar. Le commando envoyé était composé d’un nigérien, d’un arabe malien et d’un sénégalais. Depuis, le Niger n’est pas épargné par le terrorisme dont l’implantation au Sahel remonte au début des années 2000. 

Visite au service central de lutte contre le terrorisme et la criminalité internationale organisée (SCLCT/CTO)

Au Niger comme dans beaucoup de pays africains affectés, le terrorisme se nourrit d’un ensemble de facteurs lié aux conditions d’existence. Pour en avoir le cœur net, Césaltine Médang a eu l’opportunité de parler à des présumés terroristes mis en détention au service central de lutte contre le terrorisme et la criminalité internationale organisée (SCLCT/CTO). Elle affirme avoir trouvé sur place pas moins de 105 personnes, toutes soupçonnées d’être liées aux terroristes. « La majorité était nigérien et parlaient le haoussa et le zarma », se souvient Césaltine Médang selon qui, le premier présumé djihadiste avec lequel elle a discuté s’est présenté comme un peulh originaire du village de Ndinkilbé, dans le Tillabéry. 

Maître coranique de profession, il dit avoir été arrêté après une attaque à Banibangou sans autre précision. Il n’a pas reconnu son appartenance à un groupe djihadiste. Il a  par contre énuméré tout ce dont manque son village où règne une « pauvreté totale ». « Il m’a parlé du manque d’électricité, de route goudronnée, d’eau potable et qu’ils n’avaient qu’un seul puits », rapporte l’étudiante chercheure. Ces difficiles conditions de vie accablent le deuxième présumé terroriste tout aussi jeune car âgé seulement de 18 ans. 

Habitant de Bukarkorey, il affirme avoir été appréhendé lorsqu’il est allé récupérer son jeune frère « kidnappé » par une autre famille qui l’accusait de vol de bétail. Ce qui remet sur le tapis les conflits entre communautés dans cette zone de Tillabéry. Le troisième mis en cause et retenu dans les liens de la détention au moins pour cinq jours avant d’être transféré au Service central de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale pour au moins une période de 30 jours, est également d’ethnie peulh. 

Selon le récit qu’il a servi à Césaltine Médang, il était parti rendre visite à son marabout recherché pour apologie du terrorisme. C’est ainsi qu’il s’est fait coffrer en même temps que son guide. Âgé de 21 ans, il est agriculteur. Comme ses camarades d’infortune, son village manque de tout. Ce qui le rend vulnérable et exposé à la tentation de l’embrigadement dans des groupes terroristes où, selon un responsable de la cellule anti-terroriste, les nouvelles recrues reçoivent au moins « 300 000 francs ».

Le trafic de drogue, source de financement du terrorisme

Pour recruter, les djihadistes exploitent à fond la migration irrégulière. « D’après les enquêtes que j’ai faites, la migration nourrit le djihadisme », tente de convaincre Césaltine Médang qui s’est rendue dans la région de Tahoua devenue un lieu d’exode des migrants africains. Elle a aussi visité le Centre de transit des migrants africains à la Francophonie. Ce qu’elle a vu l’amène à alerter sur le risque de voir des jeunes qui ont quitté leurs pays terminer leur rêve dans des groupes djihadistes qui essaiment un peu partout dans le Sahel central. C’est d’autant plus probable que les routes de la migration échappent presque totalement aux autorités des pays de passage. C’est aussi presque le cas du trafic de drogue qui est l’autre allié du terrorisme au Sahel.

À l’Office central de la répression du trafic illicite de stupéfiants de Niamey, l’étudiante sénégalaise a eu droit à une séance d’explication sur cet autre fléau présenté comme source de financement du terrorisme. 

Selon les informations qu’elle a obtenues des services chargés de la lutte contre le trafic de drogue, les aéroports africains sont souvent utilisés comme zone de transit avant que la marchandise ne poursuive son chemin, « escorté par des terroristes qui prélèvent un droit de passage. » 

« Les types de drogue saisies aux frontières sont le cannabis, le haschich et le crack », relate Césaltine Médang qui s’est aussi entretenue avec des présumés trafiquants de drogue arrêtés par l’office central de répression du trafic de stupéfiants. Ces entretiens ont révélé que le trafic se nourrit de complicités car l’un des mis en cause était en connexion avec un dealer qui s’approvisionnait à l’aéroport de Lomé sans être inquiété.

Lors de son séjour, Césaltine Médang a été à Ouallam où beaucoup de réfugiés maliens ont été accueillis dès les premiers crépitements de balle dans le nord du Mali en 2012. L’étudiante chercheure a eu des entretiens avec le chef de canton mais aussi avec le maire de la localité qui lui ont permis de saisir le sens même des attentes des populations locales. « Elles veulent juste la paix et que les autorités mettent en œuvre tous les projets qu’ils ont lancés pour leur mieux être », plaide la jeune chercheure qui trouve que les décideurs sont très décalés des réalités qu’elle a eu l’occasion de côtoyer de très près. 

Ce que fait la CEDEAO contre le terrorisme

Selon notre interlocutrice, tous les pays africains devraient se blinder contre l’avancée de l’extrémisme et cela se fait d’abord dans un cadre comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Il est à cet égard attendu de chaque État, un rejet sans ambiguïté et sans équivoque du terrorisme sous toutes ses formes. Les États sont aussi appelés à « intensifier les efforts pour mettre en œuvre tous les instruments de la CEDEAO relatifs au maintien et à la promotion de la Paix et de la Sécurité en Afrique de l’Ouest avec une communauté sécurisée vivant en paix », relève Césaltine Médang. 

L’institution sous-régionale met aussi l’accent sur le renforcement en matière de renseignements opérationnels et d’alertes précoces. Au-delà de l’amélioration de la coordination opérationnelle avec les services de renseignements, il s’agira de régulariser le partage d’informations entre les États membres au niveau régional et international. La lutte contre le financement du terrorisme revêt un caractère essentiel et devrait passer par le « gel de tous les fonds et biens des terroristes », en sus d’appliquer les règlements stricts sur les institutions financières et non financières, y compris les transferts d’argent pour assurer que ces transactions et fonds ne supportent pas le terrorisme, directement ou indirectement. 

Au niveau du Sénégal, Césaltine Médang suggère l’installation d’une brigade de contrôle aux Baux Maraîchers « où des départs massifs sont enregistrés » non sans sensibiliser les jeunes sur les dangers de « partir à l’aventure ». 

Il est à noter que Césaltine Médang a présenté son rapport d’études lourd de 119 pages au président de la République. 

NKN