[Portrait] Ibrahim Boubacar Keïta : La triste fin du gaulliste-malien !
« L’homme du moment » ! C’est avec ce qualificatif au style James Bond que la candidature d’Ibrahim Boubacar Keïta (Ibk) (en 2013) a été vendue aux Maliens qui ont acheté sans marchander son projet de « Refondation » de la République. A 68 ans à l’époque, l’ancien Premier ministre (4 février 1994- 14 février 2000) bardé de diplômes, trimballe déjà une très bonne réputation, un background dans la gestion administrative et une expérience électorale (il a été battu en 2002 et en 2007 par ATT). Bref…Il était bien taillé pour le poste de président de la République et avait une longueur d’avance sur les autres candidats.
Le Sorbonnard amoureux des lettres, réputé gaulliste, qui répétait tout au long de la campagne (2013) les fameuses phrases du célèbre Général français, était présenté par ses détracteurs comme le « candidat de la France ». « Je suis le candidat de mon peuple », rétorque-t-il pour se démarquer du paternalisme français. Porté au pinacle à l’issue du second tour de la présidentielle du 11 août 2013 avec 77% des suffrages devant son rival de toujours, Soumaïla Cissé, « IBK, le kankélentiki » (« L’homme de parole » en Bambara) comme on l’appelait affectueusement avait une « certaine idée du Mali ». Et la feuille de route du nouveau président adulé qui a hérité d’un pays en lambeaux, était bien claire : mettre fin à la chienlit au nord, restaurer « l’honneur du Mali » et redonner le « bonheur aux Maliens ».
La tâche n’a pas été du tout une partie de plaisir et cela il s’y attendait dès le début. « Il faudra déplaire, prendre des décisions rapides et hardies. C’est une mission de reconstruction totale », lançait-il déjà en toute lucidité. Pour Ibk, pour arriver à ce renouveau, « pas question de négocier avec des Djihadistes ». Avec des débuts assez prometteurs du reste, « l’homme du moment » était, il faut l’avouer, sur la bonne voie pour un retour de la paix au nord Mali. En effet, moins de deux ans après son accession à la magistrature suprême, l’ancien président de l’Assemblée nationale malienne (2002-2007) réussit un coup de maître en parvenant à arrondir les angles avec les rebelles Touaregs du nord regroupés autour de la coordination des mouvements de l’Azawad (Cma).
Débuts prometteurs
Première victoire ! Ibk jubile : « Au moment de mon élection, en août 2013, le pays n’était pas tout à fait dans une situation normale. Il n’y avait plus d’Etat. Nous n’avions plus d’armée et, sans le déclenchement par la France de l’opération Serval [en janvier 2013], je ne serais pas devant vous aujourd’hui et le Mali aurait cessé d’exister. Le temps de la remise en ordre est long et il a fallu faire un état des lieux. Je savais que nous étions attendus sur la question de la gouvernance et de la gestion de l’Etat, donc de la décentralisation, dont je suis convaincu de la nécessité », souligne-t-il dans un entretien accordé au journal Le Monde à la veille de sa réélection en 2018.
Il ajoute : « j’ai agi et, quoi qu’en disent certains, la situation actuelle n’a rien de comparable avec ce qu’elle était à mon arrivée. Les djihadistes ne contrôlent plus de grands espaces. Pour ce qui est de la question du Grand Nord, j’ai délocalisé les négociations intermaliennes de Ouagadougou à Alger, où nous sommes parvenus à un accord ». Mais, s’empresse-t-il de reconnaître, cet accord « n’est certes pas parfait, mais crée un cadre de négociation. Nous l’avons paraphé car il garantit, notamment, la laïcité et l’intégrité territoriale du Mali ».
La descente aux enfers
Depuis sa ratification, cet accord est resté lettre morte en raison de plusieurs contestations. Ce n’est que 5 ans après, en février 2021 que le comité de suivi tiendra sa première réunion à Kidal bastion des ex-rebelles indépendantistes. A ces difficultés à mettre en œuvre cet accord, -alors que les violences terroristes n’ont guère cessé-, se sont greffées d’autres liées à la gestion du pouvoir malien, au sentiment anti-français (Ibk a été accusé d’être un complice de la France dans la gestion de la crise au nord) et à l’impuissance de l’Etat malien à faire face à l’insécurité. Un cocktail assez explosif qui finira par consumer Ibk pourtant réélu avec la manière en 2018 avec 67% des suffrages.
Le vieux routard politique, leader du Rassemblement pour le Mali (créé en 2001 après avoir démissionné de son parti), ne s’attendait guère à un scénario aussi renversant surtout pas à deux ans d’une réélection. Après plusieurs mois de manifestations du M5-RFP (dirigé par l’imam Dicko qui soutenait jadis Ibk) contre la corruption et l’impuissance de l’État face à l’insécurité, le 18 août 2020, Ibrahim Boubacar Keïta est renversé par un putsch qui démarre par une mutinerie au camp militaire Soundiata-Keïta de Kati à 15 kilomètres au nord de Bamako. Ibk et son Premier ministre Boubou Cissé sont arrêtés, la junte dirigée par Assimi Goïta parade dans les rues de Bamako sous les ovations des Maliens… C’est le début de la fin pour le natif de Kouthiala (le 29 janvier 1945) et ancien homme de confiance d’Alpha Oumar Konaré dont il fut le directeur de campagne en 1992.
Assigné à résidence
Contraint à la démission, l’ex-étudiant de la faculté des lettres de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, déclare, dans son ultime message à la nation malienne : « je souhaite qu’aucun sang ne soit versé pour mon maintien aux affaires ». Malgré la pression de la Cedeao, la junte maintient l’ancien président dans les liens de la détention. Suite à un Avc, Assimi Goïta et ses hommes décident, le 1er septembre 2020, d’évacuer l’ancien président de la République aux Emirats arabes unis. « Il a été convenu (…) de permettre l’évacuation sanitaire d’Ibrahim Boubacar Keïta pour des raisons humanitaires pour une durée maximum d’un mois », déclare le CNSP dans un communiqué.
A son retour, Ibrahim Boubacar Keïta restera assigné à résidence jusqu’à son décès ce dimanche 16 janvier 2022. Il laisse derrière lui une femme (Aminata Maïga), quatre enfants et un riche héritage pour la postérité.
NKN