Paranoïaque, « charmant  » ou amer : qui est vraiment Vladimir Poutine ?

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Les mains sur son bureau, une cravate bordeaux nouée autour de son cou, Vladimir Poutine s’adresse à ses compatriotes et au reste du monde, ce jeudi 24 février aux environs de 4 h du matin. Appuyé sur le dossier de sa chaise, les joues légèrement bouffies, le président russe fait son âge, il aura 70 ans le 7 octobre prochain.

Le regard noir, il annonce l’invasion de l’Ukraine et menace : A ceux qui tenteraient d’interférer avec nous et plus encore à menacer notre pays, notre peuple, ils doivent savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et conduira à des conséquences que vous n’avez encore jamais connues. Des propos très largement dénoncés par les puissances occidentales et qui renforcent un peu plus l’isolement d’un homme, à la tête de la Russie depuis 22 ans.

Vladimir Poutine est au pouvoir depuis 2000, dans une Russie, sortie de 70 ans de communiste. Jeune et sportif, il tranche avec son prédécesseur Boris Eltsine, affaibli physiquement et miné par l’alcool.

« Il s’est raidi sur ses positions »
Ancien espion du KGB, notamment en Allemagne de l’Est à la fin des années 80, Vladimir Poutine a bâti une carrière politique éclair, grimpant rapidement les marches vers le pouvoir. Une fois élu, le nouveau président part en guerre contre les oligarques russes qui contrôlent la société et propose une série de réformes.

Sur la scène internationale, Vladimir Poutine maintient la politique d’ouverture vers l’Occident initiée par son prédécesseur. En juin 2000, il déclare même à son homologue américain, Bill Clinton, qu’il songe à rejoindre l’Otan, organisation aujourd’hui honnie. Le 11 septembre 2001, alors que les États-Unis sont touchés par les attentats, Vladimir Poutine est également l’un des premiers chefs d’État à envoyer un message à G. W. Bush et ordonne une minute de silence dans toutes les écoles de Russie.

Des positions qui tranchent avec le climat de défiance actuel. Je pense qu’il est absolument dans la continuité de ce qu’il était. Il est juste plus vieux, il s’est raidi sur ses positions et ses amertumes, tranche pour Ouest-France Cécile Vaissié, professeure d’études russes et soviétiques à l’Université Rennes-2.

Sa politique s’est durcie avec le temps mais les germes étaient présents dès le début, poursuit la chercheuse qui évoque une reprise en main rapide des médias et l’opération militaire en Tchétchénie dès son arrivée au pouvoir.

« Il y a cette obsession des États-Unis »
Très populaire en Russie lors des premières années, Vladimir Poutine veut également redorer le blason de son pays sur la scène internationale. Malgré de bonnes relations avec les leaders du monde occidental comme le président américain George W. Bush, le président français Jacques Chirac ou le chancelier allemand Gérard Schroeder, des crispations apparaissent rapidement.

Alors que des révolutions démocratiques éclatent en Géorgie (2003) et en Ukraine (2004), dix pays de l’Europe de l’est adhèrent à l’Union européenne (2004). Vladimir Poutine se sent menacé. À cela s’ajoute le sentiment d’un manque de considération de la part des États-Unis. Aux yeux de Poutine, les Américains s’étaient montrés arrogants et méprisants en refusant de traiter Moscou sur un pied d’égalité, raconte Barack Obama, président américain entre 2008 et 2016, dans ses mémoires, Une Terre promise (éditions Fayard)

Vladimir Poutine a été formé dans les années 70 par le KGB dont la logique était paranoïaque. Il y a cette obsession des États-Unis, cette obsession d’être une forteresse assiégée, décrypte Cécile Vaissié.

Un rapport de force permanent
Après huit ans de présidence et face à la règle constitutionnelle qui limite le nombre de mandats consécutifs à deux, Vladimir Poutine se maintient au pouvoir entre 2008 et 2012 en devenant le Premier ministre de Dmitri Medvedev. Lors de cette période, il reste le véritable dirigeant de la Russie et instaure un rapport de force avec les Occidentaux.

En 2008, le président russe envahit la Géorgie puis en 2011, il apporte son soutien au régime de Bachar el-Assad en Syrie. Le moment déterminant, c’est 2012, quand il revient au pouvoir après l’intermède Medvedev. Il se place de manière déterminée en adversaire des États-Unis, juge François Hollande dans une interview accordée au Point , début février.

Puis, à l’été 2013, à la veille du sommet du G20 qu’il accueille à Saint-Pétersbourg, les États-Unis refusent d’intervenir en Syrie alors que la ligne rouge a été franchie avec l’utilisation d’armes chimiques. Il comprend alors que ce recul lui permet d’avancer, poursuit l’ancien président français.

« Il use de ses colères »
Parfois qualifié de chaleureux ou de charmant par ses interlocuteurs, Vladimir Poutine est aussi réputé pour son ton froid et cassant. En juin 2007, il aurait menacé d’écraser Nicolas Sarkozy face aux reproches du président français sur les droits de l’Homme.

Il use de ses colères, qui peuvent aller jusqu’aux extrêmes, et de menaces, qui peuvent être presque directes à l’égard de ses interlocuteurs, toujours les plus faibles., se souvient encore François Hollande toujours dans Le Point.

Vladimir Poutine parle le moins possible afin de rendre ses sentences et ses colères aussi impressionnantes qu’un décret divin, confirme dans le magazine Le 1 , le philosophe Michel Eltchaninoff.

Il ne perd jamais de vue son objectif : tout ce qui affaiblit l’Amérique, tout ce qui divise le camp occidental et l’Europe est bon pour lui, déclare encore François Hollande.

« L’image hollywoodienne d’un héros »
Conscient du rapport de force, Vladimir Poutine décide d’annexer la Crimée en 2014 au lendemain d’une nouvelle révolution ukrainienne. Une invasion qui lui vaut d’être mis à l’écart par une partie de la communauté internationale ; les Occidentaux prennent des sanctions et la Russie est éjectée du G8.

À l’inverse, cet événement renforce sa popularité à l’intérieur des frontières russes. La Crimée mobilisait car elle était liée à des souvenirs d’enfance, de vacances, il y avait une sorte de nostalgie chez les Russes, analyse Cécile Vaissié.

Le président russe surfe également sur ses talents de communicants. Sportif, passionné de judo et d’équitation, il n’hésite pas à se mettre en scène et à s’afficher torse nu comme une véritable célébrité. La thèse principale à l’époque était que Poutine devait correspondre à l’image hollywoodienne d’un héros sauveur. Le monde regarde Hollywood – il regardera donc Poutine, raconte Gleb Pavlovsky, conseiller et stratège de Vladimir Poutine durant son premier mandat, dans l’ouvrage La sportokratura sous Vladimir Poutine : une géopolitique du sport russe (éditions Bréal).

« Physiquement, il n’avait rien de remarquable »
Un culte de la virilité qui s’exporte au-delà des frontières de la Russie. C’est quelque chose qui a largement fonctionné en Occident dans les cercles d’extrême droite, observe Cécile Vaissié. Une stratégie qui a, en revanche, moins marqué Barack Obama : Physiquement, il n’avait rien de remarquable : petit et trapu – une carrure de lutteur -, une fine chevelure blond-roux, un nez saillant, des yeux clairs et vigilants, décrit encore l’ancien américain dans ses mémoires.

Aujourd’hui, à l’approche de ses 70 ans, Vladimir Poutine délaisse de plus en plus cet axe de communication. Il continue à faire quelques matches de hockey ou à aller se promener en Sibérie mais les Russes en ont un peu assez de le voir se promener dans des bottes à 3 000 € alors qu’eux ont des retraites de 250 €, explique Cécile Vaissié.

Vladimir Poutine « a peur »
Car sur le plan intérieur, Vladimir Poutine est également en difficulté. La crise économique touche le pays, la pauvreté progresse et la pandémie de Covid-19 a fortement atteint le pays. À cela s’ajoutent une réforme des retraites impopulaire et un sentiment de lassitude, voire de mécontentement chez une partie de la population et notamment chez les jeunes.

L’invasion de l’Ukraine, décidée en ce mois de février 2022, aura-t-elle pour effet de ressouder la population derrière son chef d’État ? Je ne pense pas. Il est trop vieux, trop usé et dans le même temps, la vie des Russes est trop terne, trop pénible. Beaucoup de gens se rendent compte que le projet russe ne va nulle part, estime Cécile Vaissié.

Selon la chercheuse, Vladimir Poutine s’est petit à petit coupé de la société : C’est quelqu’un qui vit dans son monde, une sorte de reconstitution de l’univers du « KGBiste » de base des années 70 avec en plus des toilettes en or et des brosses à toilette en vermeil.

Vladimir Poutine a vu les révolutions en Géorgie puis en Ukraine et il a peur que ça se produise chez lui, poursuit Cécile Vaissié. En ce sens, l’invasion de l’Ukraine sonne comme un avertissement : Il s’agit de mater l’Ukraine, de la mettre à genoux parce qu’elle a osé se libérer.
NKN

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