Le Sénégal a l’épreuve des élections de 2022 : quels enjeux pour la fiscalité locale ?

La réflexion sur la fiscalité ne peut s’empêcher aujourd’hui d’évoquer la fiscalité des collectivités locales. Cette assertion se fonde au moins sur deux faits :
- les impôts les plus controversés appartiennent à la famille de la fiscalité locale, il s’agit de la patente pour les entreprises et des contributions foncières pour le ménages; d’importants moyens financiers et techniques ont été mis en œuvre pour rendre plus performante la fiscalité locale à travers le volet cadastre fiscal du projet urbain :
- la régionalisation, troisième phase de la politique de décentralisation, entre en vigueur avec notamment la superposition territoriale de plusieurs collectivités décentralisées (la commune et les communautés rurale sont dans le ressort d’une région).
On peut résumer la situation de la fiscalité locale en distinguant d’abord ses principales forces et faiblesses.
Les principales forces :
• Une fiscalité basée sur la taxation des valeurs foncières locatives et des valeurs vénales est déjà opérationnelle ;
• Les recettes fiscales locales représentent près de 50% des recettes totales des collectivités locales ;
• Les recettes fiscales locales couvrent environ les deux tiers des dépenses de fonctionnement ;
• Les recettes non fiscales sont bien maîtrisées par les collectivités locales et en croissance ;
• Des contribuables se disent prêts à payer plus sur les services sont de meilleure qualité.
• Des relations Etat- collectivités locales relativement bien rodées permettant, par l’unicité de caisse, de répondre aux besoins financiers d’un grand nombre de collectivités locales ;
• Les recettes Perception Municipale (RPM) en opération dans certaines localités ont permis d’améliorer le recouvrement.
Les principales faiblesses :
• Des difficultés importantes existent au niveau de l’établissement d’un recensement annuel complet des contribuables ;
• Un faible taux de recouvrement ;
• Des critiques sévères sont émises sur la qualité des services locaux offerts, comme l’enlèvement des ordures ménagères ;
• L’absence d’application effective de sanctions contre des contribuables qui peuvent mais refusent de payer ;
• Une faible capacité de payer face de nombreuses taxes forfaitaires inévitables et souvent sans lien avec le bénéfice reçu ;
• Une perception négative de la gestion des finances locales, ce qui n’encourage pas une adhésion spontanée au paiement des impôts locaux ;
• Des processus de recrutement manquant de transparence et conduisant à une fonction publique locale qui pourrait, dans l’ensemble, être mieux qualifiée ;
• Un partenariat difficile avec le secteur privé qui dénonce fréquemment les lenteurs des collectivités locales à payer leurs comptes ;
• Des taux d’imposition relativement élevés expliqués par :
• un faible nombre de contribuables réels par rapport au nombre de contribuables potentiels ;
• une assiette des valeurs locatives et vénales nettement sous-évaluée par rapport au marché.
A ce propos, les contributions foncières, comme la patente, méritent une réflexion.
A- Les contributions Foncières
Trois contributions foncières, perçues au Sénégal, sont levées au profit des collectivités locales :
- La contribution foncière des propriétés bâties (CFPB) : elle est due sur les propriétés bâties telles que les maisons, fabriques, manufactures, usines et en général tous les immeubles construits en maçonnerie, fer et bois fixés au sol à demeure. Sont également soumis à cette contribution les terrains non cultivés employés à un usage commercial ou industriel et l’outillage des établissements industriels attaché au fonds à perpétuelle demeure ou reposant sur des fondations spéciales faisant corps avec l’immeuble, ainsi que toutes installations commerciales ou industrielles assimilées à des constructions.
- La contribution foncière des propriétés non bâties : elle est due à raison des terrains immatriculées et des terrains où sont édifiées des constructions non adhérentes au sol, situées dans le périmètre des communes, des groupements d’urbanisme, des centre lotis, etc. Les terrains en cours de construction sont également imposables si l’achèvement des travaux n’intervient pas la troisième année suivant celle du début des travaux ;
- La surtaxe sur les terrains non bâtis ou insuffisamment bâtis : elle est perçue dans la communauté urbaine de Dakar et dans les communes chefs-lieux de région. Est considéré comme terrain insuffisamment bâti, celui pour lequel la valeur vénale des constructions qui y sont édifiées est inférieure à sa propre valeur vénale. Les règles d’assiette de ces trois contributions font l’objet d’un débat actuel. Principalement axées sur la CFPB, les critiques portent essentiellement sur le champ d’application, la base et le taux.
a) Le champ d’application
Les exemptions permanentes et temporaires ont été identifiées comme des «facteurs de non intégrité de l’assiette fiscale ».[[1]]url:#_ftn1 Pour l’essentiel, les objectifs poursuivis dans ce cadre sont :
- la relance et la délocalisation de l’activité économique par l’octroi de régimes de faveur;
- l’incitation on à l’investissement industriel ;
- la promotion de l’habitat social ;
- la création d’emplois.
Les exemptions temporaires sont constituées par des exonérations à la CFPB de dix ans pour les immeubles à usage d’habitation et de cinq ans pour les immeubles à usage autre que d’habitation, ou de seize ans lorsque ces derniers sont situés hors de Dakar.
Sans remettre en cause le principe même de l’exonération, il nous semble opportun d’en réviser la durée en combinant une telle mesure avec l’utilisation des autres possibilités d’incitation offertes par la législation de droit commun .
Toutes ces constations ne sont pas spécifiques à la législation sénégalaise. Gérard CHAMBAS, analysant globalement le problème des contributions foncières fait remarquer que « la quasi-exemption fiscale de fait des actifs immobiliers résulte en partie de certaines mesures d’exonérations. Dans de nombreux pays, les propriétaires occupants sont exonérés d’impôt foncier: cette disposition légale réduit d’autant plus le champ d’application de 1 ‘impôt qu’une acception extensive de la notion de propriétaire occupant prévaut. Dans un pays sahélien, seul un impôt sur les revenus fonciers est prévu tandis que dans un autre pays où les estimations de valeur ne sont pas contrôlées, les immeubles d’une valeur vénale inférieure à une limite réglementaire sont exonérés.[[2]]url:#_ftn2 La complexité des textes concernant la fiscalité foncière, le caractère excessif de certains taux d’imposition théoriques expliquent en partie la désuétude de ces impôts».
Le cas de la Côte d’Ivoire mérite à ce propos une attention particulière : les taxes et redevances grevant les actifs fonciers sont la contribution foncière des propriétés bâties, la contribution nationale, les taxes sur les revenus nets des propriétés bâties, le FNIB ( supprimé en 1991 ), la contribution foncière des propriétés non bâties, la taxe sur la valeur vénale des propriétés non bâties, la surtaxe foncière sur les propriétés insuffisamment bâties, la taxe des biens de main-morte, les taxes pour services rendus (taxe d’assainissement, taxe de voirie et d’hygiène), l’impôt sur les mutations de jouissance et enfin l’impôt général sur le revenu foncier. Au total, onze catégories d’impôt d’un rendement marginal sont donc distinguées !
b) La base imposable.
Les problèmes soulevés par la base sont relatifs aux abattements et à la valeur locative.
L’impôt est calculé sur le revenu net des immeubles ; celui-ci étant à une fraction de la valeur locative. La déduction sur la valeur locative de 40 % pour les maisons ou de 50 % pour les usines, permet de tenir compte du dépérissement (amortissement), des frais d’entretien et de réparation.
En réalité, les abattements de 40 % et 50 % constituent des survivances de l’ancienne CFPB qui était un impôt d’Etat représentatif à la fois d’un impôt indiciaire (basé sur un indice de richesse tel que la propriété foncière) et d’un impôt sur le revenu. A cette époque, les abattements avaient pour objet la constatation des frais d’entretien et des amortissements en vue de la détermination du revenu net imposable.
Or, depuis la réforme de 1980 qui a institué l’impôt sur les revenus fonciers, la CFPB a cessé d’avoir le caractère d’impôt sur le revenu. Dès lors, rien ne justifie les abattements ayant pour objet la dépréciation ou les frais d’entretien, toutes choses désormais prises en compte pour la détermination du revenu foncier imposable à l’impôt sur le revenu.
Au surplus, la proposition de remplacer la valeur locative par la valeur marchande induit la suppression de ces abattements. En effet, l’évaluation de la valeur marchande utilise déjà un coefficient de vétusté qui ferait double imposition avec les abattements.
L’impôt est assis sur la valeur locative sur laquelle est appliquée au préalable, l’abattement. L’article 222 du CGI définit la valeur locative comme le« prix que le propriétaire retire de ses immeubles lorsqu’il les donne à bail ou, s’il les occupe lui-même, celui qu’il pourrait en tirer en cas de location ».
Le même article précise par ailleurs que « la valeur locative est déterminée au moyen de baux authentiques ou de locations verbales passées dans les conditions normales. En l’absence d’actes de l’espèce, l’évaluation est établie par comparaison avec des locaux dont le loyer aura été régulièrement constaté ou sera notoirement connu ou déterminé par la méthode cadastrale.
Si aucun de ces procédés ne peut être appliqué, la valeur locative est déterminée par voie d’appréciation directe : évaluation de la valeur vénale, détermination du taux d’intérêt des placements immobiliers dans la région considérée pour chaque nature de propriété, application du taux d’intérêt à la valeur vénale.
La valeur locative des terrains à usage industriel et commercial est déterminée par le loyer payé pour l’occupation du terrain augmenté de la valeur locative du sol obtenue par la méthode d’appréciation directe ».
L ‘application de ces méthodes sur le terrain est fortement décriée, souvent jugée arbitraire et constitue finalement une source d’un contentieux volumineux.
Toutes ces complexités d’assiette font certainement penser à Jacqueline FERRIE que finalement, la CFPB est un impôt sur les revenus fonciers.
Reproduisons en effet, un passage de son ouvrage précité :
« Nous faisons remarquer que par ailleurs, la contribution foncière sur les propriétés bâties se situe à la limite des principes généraux du droit puisque nous constatons :
a) une double imposition du revenu foncier dans le cas où la contribution foncière sur les propriétés bâties concerne un immeuble donné en location:
- une première fois sous le terme « revenu net » au taux de 15 % (le revenu net étant égal selon les cas à 60 % ou 50 % de la valeur locative, ceci équivaut à une imposition du revenu net foncier ou bénéfice brut foncier);
- une deuxième fois sous le terme I.R.P.P. :
• à un droit proportionnel de 20 % qui en réalité est de 17 % puisque les 15 % de la contribution foncière sont déduits de la base de l ‘JRPP, car 20% de (100-15) = 17% ;
• majoré d’un droit progressif allant de 18 % à 50 %. Soit en toute une imposition des revenus nets fonciers allant, selon les cas de 32 % à 47 ;
• 9 %, voire 65 % contre 74,5 % en 1998 (institution d’un butoir de 50 % en matière d’JRPP).
b) une imposition de revenus fictifs dans le cas où l’immeuble imposé est occupé par le propriétaire, ce qui équivaut:
- non seulement à une imposition du capital immobilier ne générant pas de revenu
- mais encore à l’inégalité fiscale (possibilités d’évaluation variables, d’abus, de désabus, etc. Le tout généré par le texte même, prévoyant une évaluation fictive d’un revenu qui n’existe pas) ».
Il est vrai que le terme « revenu net » qui est une survivance de la législation antérieure à 1980, n’est plus approprié. En réalité depuis-cette réforme, il ne s’agit plus d’un revenu foncier mais tout simplement d’une valeur exprimant la base taxable. Il serait donc souhaitable de lui substituer un concept qui rendrait compte plus clairement de cette base exprimée en valeur monétaire; en l’absence de l’existence ou de la référence à un quelconque revenu.
Cela étant, sans trop jouer sur les mots, il est vrai que la situation des propriétaires ayant des revenus fonciers (c’est à dire ayant mis en location leurs propriétés et donc à ce titre sont assujettis à l’impôt sur le revenu) au regard des règles actuelles de détermination de la CFPB apparaît comme quelque peu dérangeant. Le concept « revenu net» manipulé dans les deux impôts (l’impôt sur le revenu et la CFPB) en théorie comme en pratique, ne milite pas en faveur d’une équité fiscale, même si par ailleurs, depuis 1980, en matière de contribution foncière, c’est moins le revenu que la possession elle-même qui est taxé …
Dans le contexte plus général des pays d’Afrique sub-saharienne, selon CHAMBAS, « le faible produit de la fiscalité foncière apparait préjudiciable au développement économique et à l’équité. Compte tenu de l’ampleur de l’assiette fiscale constituée par la valeur des actifs immobiliers et de l’importance des revenus fonciers, il serait possible d’organiser un système d’imposition créant peu de distorsions économiques tout en mobilisant des ressources substantielles. A défaut de mobiliser de tels prélèvements, les pays africains sont conduits à prélever des impôts (douaniers notamment) exerçant des effets économiques néfastes ».
2 – La contribution des patentes et ses effets pénalisant sur l’investissement
Perçue au profit des collectivités locales, la contribution des patentes est due par toute personne qui exerce au Sénégal un commerce, une industrie ou une activité non exonérée. Elle comprend un droit fixe ( déterminé par une professions) et un droit proportionnel assis sur la valeur locative des bureaux, magasins, usines, hangars, installations fixes, terrains … , majorés d’une taxe complémentaire assise sur le montant de la patente ainsi déterminé. Il est également prévu une patente forfaitaire pour certaines catégories de contribuables.
Deux griefs principaux sont retenus aujourd’hui à l’encontre de la patente :
Son caractère anti-économique, parce que grevant les coûts de facteurs de production des entreprises ;
une exagération des valeurs locatives retenues pour le calcul de la patente due par les établissements industriels. Il est reproché à l’administration fiscale de privilégier la méthode de l’appréciation directe (un taux d’intérêt déterminé à partir des placements immobiliers de la région est appliqué à la valeur vénale du terrain ; la valeur ainsi obtenue vient majorer le loyer payé pour l’occupation du terrain à usage industriel et commercial).
En France, la taxe professionnelle a succédé , en 1976, à la patente dans l’arsenal fiscal des collectivités locales. Lisons ce que Didier MAILLARD écrit après avoir qualifié la taxe professionnelle d’impôt sur les facteurs de production :
«La taxe professionnelle est sans doute l’un des impôts faisant l’objet des critiques les plus vives et les plus permanentes …
Le passage de la patente à la taxe professionnelle a entraîné des transferts de charges importantes entre les entreprises et entre les secteurs d’activités. L’image de la taxe professionnelle a sans doute été durablement affectée à cause de ses débuts difficiles. Pour répondre aux difficultés les plus criantes liées à la transformation de la patente en taxe professionnelle, l’Etat a dû par ailleurs mettre en place des mécanismes d’étalement, d’abattement et de plafonnement, engrenages générateurs d’effets pervers dont il n’a pas pu se sortir vingt ans après.
Au total, la création de la taxe professionnelle est consensuellement considérée comme un traumatisme qui a sans doute contribué par la suite à comprimer les velléités de réforme fiscale dans d’autres domaines et à faire perdre à la France une décennie ou deux dans l’application d’un système fiscal plus simple et moins distordant ».[[3]]url:#_ftn3
Une autre critique qui lui est adressée est que les taux sont éminemment variables d’une commune à une autre. Est-il convenable que le système sénégalais évolue vers la variabilité ? Une telle perspective n’est peut-être pas à écarter lorsque l’on considère les processus de décentralisation aujourd’hui très avancé. Pour l’instant, il reste que les collectivités locales pour lesquelles la patente est perçue n’ont pas les moyens humains, matériels et techniques nécessaires à la gestion d’une telle compétence. Retenons toujours en perspective cette réflexion de Didier MAILLARD: « Au total, si la présence d’un impôt sur les facteurs de production, telle que l’est en principe la taxe professionnelle, dans un arsenal fiscal moderne, est sujet à débat, la taxation qu’elle pratique des équipements et des actifs industriels est certainement excessive et la variabilité locale trop grande ».
3. Quelle réforme pour la fiscalité locale ?
La réforme de la fiscalité locale a constitué, après celle de la TVA, le deuxième chantier le plus important auquel les pouvoirs publics ont dû faire face.
La problématique financière des collectivités locales est liée au processus de décentralisation aujourd’hui très avancée au Sénégal. Ce mouvement a donné naissance à de nombreuses nouvelles collectivités locales qui n’ont pas les ressources nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.
Ainsi, la fiscalité locale reste le levier prioritaire pour financer ces missions.
Aussi, une étude sur la fiscalité locale a été menée pour répondre rapidement à ce besoin.
A – Philosophie générale de la réforme
1 ° La démarche
Le Gouvernement avait entrepris une Etude sur la fiscalité locale réalisée par des experts sénégalais avec l’appui d’experts canadiens. L’Etude dresse en quatre modules un bilan quantitatif et qualitatif de l’état et du fonctionnement de la fiscalité et des finances locales:
- Les finances des collectivités locales ;
- La fiscalité locale et son rendement;
- Les relations financières Etat-Collectivités locales ;
- La fiscalité locale du point de vue du contribuable.
Cet examen en profondeur et sans complaisance de la réalité a fait l’objet d’une synthèse technique et d’une synthèse de grande diffusion, qui ont servi à alimenter la discussion lors d’une consultation publique.
Dans le cadre d’une vaste campagne de communication, du 3 au 16 mars 1999, le Comité de pilotage a tenu des consultations pour valider ces constats et associer les populations à sa réflexion. Il a organisé des tables de concertation à Dakar, Joal et Kaolack à l’occasion desquelles il a recueilli des avis, répondu aux interrogations et recueilli des pistes de réforme.
Ces consultations ont réuni des ONG, des présidents de Conseils ruraux, des maires des villes de l’intérieur et des présidents de région, des professionnels de la fiscalité locale, des maires de la Région de Dakar, des représentants du secteur privé, des membres de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, des mouvements associatifs et communautaires et des groupements de femmes.
Le Comité a en outre bénéficié d’un dialogue constructif avec l’Administration et de l’éclairage d’experts sénégalais et canadiens pour élaborer une politique intégrée de financement des collectivités locales.
2° Les buts et principes de la réforme
Les propositions de réformes ont cherché à atteindre plusieurs objectifs : accroître la capacité de financer les services, renforcer la gouvernance locale, protéger la compétitivité •des entreprises du secteur moderne et favoriser r acceptation par les populations. Cette réforme vise aussi le respect des principes d’équité, de vérité des prix et d’équivalence fiscale. La réforme doit avant tout fortifier les finances des collectivités décentralisées afin qu’elles puissent livrer les services demandés par la population. Ensuite, elle doit donner vie à la décentralisation par un renforcement de la gouvernance locale. En effet, le citoyen doit pouvoir établir un lien entre le paiement de l’impôt et la fourniture de services locaux grâce à une plus grande transparence dans la gestion des affaires locales.
La réforme doit également améliorer la compétitivité des entreprises du secteur moderne qui sont plus taxées que celles du secteur informel. Enfin, la réforme sélectionne des impôts locaux distincts des impôts étatiques afin qu’ils soient mieux acceptés par les populations
Un Etat moderne assume trois principales fonctions dans le développement d’une économie de marché : une fonction de stabilisation macro-économique, une fonction de redistribution de la richesse et une fonction d’allocation des services publics. On considère généralement que les fonctions de stabilisation et de redistribution sont du ressort du gouvernement central. Par contre, la fonction d’allocation est habituellement assumée plus efficacement par les autorités locales, parce que plus proches du consommateur des services.
Pour accomplir leur mission d’allocation, les collectivités locales doivent privilégier un mode de financement basé sur le principe de l’équité fiscale de la taxation selon le bénéfice reçu, plutôt que de la taxation selon la capacité de payer. En effet, il n’est pas souhaitable pour les municipalités de faire directement ou indirectement de la redistribution de richesses, une fonction mieux assumée par le gouvernement central, qui rejoint les plus pauvres et les plus riches sur l’ensemble du territoire national. La taxation selon le bénéfice reçu cherche plutôt, quant à elle, la correspondance la plus directe possible entre les bénéfices reçus de la consommation d’un service local et les taxes perçues.
La transparence est fondamentale pour les services qui seront financés par une tarification directe à l’usager. Elle signifie que les contribuables doivent pouvoir connaître le coût de revient d’un service pour être en mesure d’apprécier la juste part qu’il paient pour ce service. Si le prix chargé par la collectivité locale est sans rapport avec coût, la critique sera facile et les contribuables perdront confiance dans le système fiscal, avec toutes les conséquences prévisibles.
3° Les choix stratégiques
Il est proposé une démarche intégrée et graduelle dans le temps et l’espace le succès de la réforme exige de nombreux changements formant un ensemble logique.
Compte tenu de l’ampleur des changements proposés et des ressources disponibles, il est suggéré de procéder à une implantation graduelle. D’une part, certaines étapes sont plus urgentes que d’autres ou les précédent dans le fonctionnement logique de la chaîne fiscale. D’autre part, le déploiement de la réforme sur le territoire ne peut pas être uniforme, ni simultané. Certaines communes possèdent des structures (Recettes-Perceptions municipales) et des ressources que d’autre n’ont pas. En outre, il faut tenir compte des régimes juridiques distincts qui s’appliquent à la propriété du sol dans les communes et les communautés rurales.
La réforme proposée s’articule en cinq volets :
- Premièrement, il faut restaurer l’intégrité de l’assiette sans accroître le fardeau de ceux qui déjà paient toutes leurs taxes. L’étude a démontré qu’une grande partie de l’assiette échappe à l’imposition. En taxant un plus grand nombre de propriétés. il deviendra possible de taxer moins lourdement les contribuables actuels, sans pour autant réduire les revenus des collectivités. Pour élargir l’assiette, il est proposé de supprimer les abattements et les exemptions permanentes et de gérer les dégrèvements de manière transparente. L’élargissement de l’assiette permettra de réduire le taux d’imposition.
- Deuxièmement, il faut simplifier le système de taxation locale en faisant de l’impôt foncier sa pierre angulaire. On éliminera un nombre important de taxes qui rapportent peu et qui sont complexes à administrer. Cependant, on conservera les taxes qui. à la manière d’un tarif, peuvent être directement associées à un bénéfice reçu par les populations.
- Troisièmement, il faut graduellement instaurer un cadastre. Cet inventaire détaillé de la propriété foncière est l’instrument idéal pour établir l’assiette fiscale. Moins détaillé, le registre foncier urbain apparaît comme une étape intermédiaire utile pour certaines collectivités locales.
- Quatrièmement, il est opportun de décentraliser la chaîne fiscale. Certaines communes sont capables d’assumer l’essentiel des fonctions, comme le démontrer expérience des Recettes-Perceptions municipales. Toutefois, lorsque les ressources sont insuffisantes, les collectivités locales peuvent se donner des services communs au niveau du département. La formule proposée comporte des éléments d’une déconcentration accrue de l’administration centrale dans les départements et des éléments de décentralisation, où les fonctions sont assumées par les collectivités elles-mêmes ou par des organismes qui en émanent.
- Cinquièmement, il est proposé d’opérer au bénéfice des collectivités moins riches un régime de péréquation horizontale financé par les collectivités les plus riches. Il est aussi proposé une péréquation verticale financée par l’Etat à travers des dotations budgétaires. En outre, il est proposé que l’Etat compense les collectivités locales pour le paiement de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les exonérations et les exemptions. Les deux modes de péréquation réduiront la disparité des revenus et les collectivités locales seront compensées pour les pertes de revenus qu’entraînent certaines politiques gouvernementales.
Les développements suivants présentent une synthèse critique des propositions finales, autour des trois grands points : la décentralisation de la chaîne fiscale, le remplacement de la valeur vénale par la valeur locative, l’intégrité de l’assiette fiscale.
B – Faut-il décentraliser la chaine fiscale ?
La décentralisation de la chaîne fiscale signifie un transfert de l’assiette, de la liquidation et du recouvrement des impôts locaux aux collectivités locales. En effet, aujourd’hui ces opérations sont réalisées par l’Administration de l’Etat au profit des collectivités locales. Actuellement, les collectivités locales n’interviennent que pour le recouvrement, notamment par le biais des Recettes- Perceptions Municipales.
Une enquête a été diligentée pour conduire les tâches suivantes :
- l’identification des contribuables ;
- l’évaluation de l’assiette; l’émission de l’impôt ;
- le recouvrement de l’impôt.
L’enquête devait, entre autres, déterminer les contraintes liées à l’exécution de ces différentes tâches ainsi que les mesures d’accompagnement nécessaires. 1ER approche stratégique retenue était de constituer deux échantillons : l’un représentatif des communes, l’autre des communautés rurales, mais privilégiant toutes deux les collectivités locales les plus à même de réussir une expérience pilote de décentralisation de la chaîne fiscale.
L’échantillon des collectivités locales, initialement retenu, a été entièrement respecté. En complément de cet échantillon, les quatre villes de Dakar et la commune de Bargny ont été enquêtées en vue d’apprécier leur capacité à prendre en charge la décentralisation de la chaîne fiscale au cas où les moyens humains, matériels et financiers des communes d’arrondissement ne le permettraient pas à ces dernières. Cette enquête s’est déroulée dans la période du 17 février au 9 mars 1999.
Le projet de décentralisation de la chaîne fiscale soulève plusieurs problèmes d’ordre juridique, administratif et financier. D’un point de vue juridique et administratif, la décentralisation de la chaîne fiscale pose surtout la question du niveau de décentralisation qu’il convient de retenir, en définitive.
Un deuxième problème consiste dans les modalités de la décentralisation sera-t-elle totale et uniforme dès le départ ou faut-il procéder par étapes ?
1 ° Le niveau de décentralisation
A priori lorsqu’on évoque l’idée de décentraliser la chaîne fiscale, on devrait penser à rendre autonome chaque collectivité pour la gestion de ses ressources fiscales, en conformité avec l’objectif de décentralisation. Cependant, compte tenu de la situation financière de certaines collectivités, il faut examiner la possibilité de choisir un autre niveau de décentralisation qui soit compatible avec l’objectif visé.
L’idée de base consiste à se demander si la décentralisation de la chaîne fiscale doit suivre la décentralisation administrative et induire la création, au niveau de chaque collectivité locale, d’une structure de gestion des finances locales. Au regard des objectifs politiques de décentralisation. Cette solution semble être la seule acceptable. Toutefois, au regard des critères financiers de l’appréciation de la faisabilité, il n’est pas évident d’accepter une décentralisation de la chaîne fiscale qui accroît le déficit ou crée un besoin de financement de la collectivité locale.
Ainsi, à chaque fois qu’une décentralisation achevée (au niveau de la collectivité locale) ne sera pas possible financièrement il faudrait recourir a I’ intercommunalité pour procéder à la décentralisation de la chaîne fiscale.
Dans ce dernier cas, il paraît judicieux d’explorer l’idée d’un regroupement de collectivités locales, en vue de la gestion commune de leurs fiscalités. Si cette hypothèse est retenue, il conviendra de déterminer le niveau de regroupement.
Le consultant fait remarquer que « le choix d’un niveau de décentralisation prédéterminé, bien qu’il semble relever d’une approche dirigiste contraire à la décentralisation, procède d’une logique de péréquation horizontale au sein d’une circonscription administrative donnée. En ce sens, il participe à la logique d’une politique d’aménagement du territoire, au moyen d’une mise en commun des potentialités financières des collectivités d’une circonscription administrative donnée, en vue d’optimaliser la gestion d’un service d’intérêt commun ».
Avec la liberté d’association, les collectivités locales les plus pauvres pourraient se retrouver dans l’incapacité de prendre en charge la décentralisation de la chaîne fiscale.
Pour éviter cette situation, il convient de fixer un niveau de décentralisation pour toutes les collectivités locales actuellement incapables de prendre individuellement en charge la décentralisation de la chaîne.
Dans cette perspective, examinons les différents niveaux de décentralisation de la chaîne fiscale possibles, à savoir :
- Le niveau régional ;
- Le niveau départemental ;
- Le niveau arrondissement ;
- Le niveau collectivité locale.
a) Le niveau régional
La région, dans le cadre du schéma de décentralisation sénégalais, semble être le niveau de mise en cohérence des politiques de développement à travers » l’Agence Régionale de Développement. Dès lors, il est tentant d’y rattacher un service d’intérêt commun aux collectivités locales de la région. En outre, il ne devrait pas y avoir beaucoup de difficultés à prendre en charge les coûts de décentralisation de la chaîne à ce niveau compte tenu de la synergie qui pourrait s’y développer.
Mais selon le consultant, « toutefois, ce choix ne comporterait pas que des avantages. En effet, il faut éviter, dans le cadre de la décentralisation, toute idée pouvant faire croire que la région est une collectivité mère des communes et communautés rurales, d’autant plus que ces dernières sont géographiquement dans son territoire. Au surplus, la région participe d’une nature juridique hybride, étant une collectivité locale mais aussi une circonscription administrative déconcentrée. Ce qui n’est pas le cas de l’arrondissement et du département.
Au-delà de l’autonomie financière des collectivités locales, la décentralisation de la chaîne fiscale participe d’une réforme fiscale dans laquelle le rapprochement du gestionnaire de l’impôt, de la matière imposable et des contribuables est un objectif. De ce point de vue, le niveau régional est éloigné des campagnes où l ‘amélioration de la gestion de la fiscalité est très souhaitée. Du reste, dans la situation actuelle tant décriée dans le diagnostic et les consultations publiques, l’assiette des impôts locaux est faite dans un cadre de déconcentration au niveau régional. Il convient d’ajouter que dans le cadre de déconcentration actuelle, le recouvrement des impôts locaux est fait au niveau des départements par le réseau des comptables du Trésor. A cet égard le niveau régional constituerait un recul».
b) Le niveau départemental
Contrairement à la région, le département est simplement une circonscription administrative déconcentrée. Il n’y a aucune confusion possible avec les collectivités décentralisées qu’on y retrouve. Il n’a donc pas les faiblesses du niveau régional. Ainsi, tout regroupement de collectivités locales à ce niveau apparaît sans ambiguïté, comme le fruit d’une coopération inter – collectivités locales où il est possible de créer un service d’intérêt commun dont le financement peut être assuré au moyen d’une péréquation.
Hors de la région de Dakar, le niveau départemental offre la possibilité de regrouper des communes relativement anciennes (les chefs lieu de département), des communes toutes nouvelles et des communautés rurales. L’objectif est de créer une synergie permettant une décentralisation optimale de la chaîne fiscale pour un ensemble de collectivités qui, prises isolément, n’ont pas une situation financière adéquate. Ce niveau départemental soulève moins de difficultés politiques que le niveau régional et offre des hypothèses de rentabilité financière. Toutefois, il demeure moins rapproché que l’arrondissement.
c) Le niveau d’arrondissement
Le niveau d’arrondissement est le plus rapproché des contribuables si on se réfère aux circonscriptions administratives et permet ainsi une gestion de proximité de la matière imposable. De la même manière que le département, ce niveau ne soulève pas des difficultés politiques au regard d’une coopération inter-collectivités locales.
« Toutefois, l’arrondissement ne regroupe généralement que de nouvelles communes et collectivités rurales, c’est-à-dire les collectivités locales les moins préparées à une prise en charge de la chaîne. En effet, elles sont pauvres et manquent d’expérience même dans la gestion actuelle. On peut craindre qu’à ce niveau les contraintes financières et le manque d’expérience soient des obstacles majeurs dans un premier temps. L’Etat n ‘a pas encore envisagé une déconcentration de ses services fiscaux et comptables au niveau de l’arrondissement : il est donc plus prudent de ne pas y tenter une décentralisation de la chaine fiscale ».
d) Le niveau collectivité locale
Une décentralisation achevée de la chaîne fiscale devrait se situer à ce niveau. Toutefois, compte tenu du faible potentiel fiscal de certaines collectivités locales, elle ne sera pas toujours viable financièrement. Aussi, chaque fois que la viabilité financière sera assurée, il convient de décentraliser la chaîne fiscale en suivant la décentralisation administrative.
Compte tenu de toutes ces données, le consultant recommande de « décentraliser la chaine fiscale au niveau départemental lorsqu’une collectivité locale prise isolément ne peut pas assurer la décentralisation de la chaîne fiscale».
2° Les modalités d’une éventuelle décentralisation de la chaine fiscale
Les incertitudes liées à l’identification d’un niveau adéquat de décentralisation ainsi que l’ampleur des moyens à mettre en œuvre montrent bien la difficulté qu’il y a aujourd’hui à décentraliser la chaîne fiscale. En effet, en dehors même du niveau de décentralisation, se posent d’autres problèmes :
- insuffisances des moyens matériels et humains des collectivités locales;
- déficit de formation de leurs agents ;
- insuffisance des moyens financiers nécessaires à la gestion de la chaîne fiscale ;
- risque potentiel d’un contentieux volumineux, etc.
Compte tenu de toutes ces difficultés, il faut bien reconnaître que dans le court terme, la décentralisation de la chaîne fiscale n’est pas envisageable.
En réalité, en termes stratégiques, il serait plus convenable, si le principe de la décentralisation était retenu, de bâtir un « plan de décentralisation », sur un horizon raisonnable (exemple : 7 ans).
Les composantes majeures du plan stratégique pourraient être les suivantes :
- association progressive des collectivités locales à la gestion de la chaîne ;
- développement de modules de formation adaptés, pour le compte des personnels locaux ;
- négociation d’un plan de financement du projet avec les bailleurs de fonds, déjà impliqués dans le processus ;
- au stade final, une présence effective transitoire des services fiscaux de l’Etat pour accompagner les deux premières années de gestion fiscale des collectivités locales.
Un tel schéma nous semble plus adapté pour conduire efficacement le projet de décentralisation de la chaîne fiscale.
C – Le remplacement de la valeur locative par la valeur vénale.
1 ° Les raisons d’un choix de la valeur vénale
La valeur vénale ou valeur foncière d’une propriété est la valeur marchande ou la valeur d’échange. Elle est en fait la valeur à laquelle aurait acheté un agent économique, qui n’a aucun intérêt particulier à acheter, sur un marché libre et concurrentiel.
Le choix de substituer la valeur foncière (vénale) tient à trois éléments :
- la valeur marchande est plus stable que la valeur locative ;
- la valeur marchande est visible contrairement à la valeur locative qui résulte d’une convention entre le bailleur et le preneur; cette visibilité diminue notoirement la fraude et l’évasion, et par suite réduit le contentieux de l’assiette;
- la valeur vénale est plus importante que la valeur locative ce qui entraînera un accroissement des bases imposables. Pour éviter que cet accroissement n’augmente la pression fiscale, on devra baisser les taux de taxation. Les taux faibles sont plus faciles à gérer politiquement. Puisque les plafonds d’exonération sont dépassés par l’essentiel des propriétés, tout le monde participe à l’effort collectif de financement des biens et services collectifs.
Il existe trois méthodes pour établir la valeur vénale :
- la méthode des coûts : la propriété est considérée comme une entité physique composée de deux éléments qui doivent être évalués séparément : l’emplacement d’une part, les bâtiments et autres améliorations au terrain d’autre part. Cette méthode est peu compatible avec le secteur informel ;
- la méthode du revenu est un procédé qui assimile la valeur au flux anticipé des revenus nets de l’immeuble. Elle utilise la notion de valeur de rendement et les techniques d’accumulation des valeurs futures. Cette méthode est peu transparente car très complexe, sans compter qu’elle exige des prévisions facilement contestables ;
- la méthode par comparaison consiste à évaluer la valeur réelle d’une propriété à partir des prix récents des propriétés semblables, situées dans des unités des voisinages comparables.
2° Les conditions du choix de la valeur vénale
a) Le Cadastre
Le cadastre est un inventaire de la propriété foncière qui donne une description plus ou moins détaillée de chaque parcelle. Le cadastre est destiné à répondre aux besoins individuels et /ou collectifs en matière foncière (juridique, fiscale, économique et sociale).
Il est composé de deux (2) entités distinctes :
- un document graphique (le plan cadastral) ;
- un document littéraire (registres fonciers, fichiers) qui compile dans des bases de données les informations descriptives de chaque parcelle (propriété, référence géographique, évaluation …).
Les outils de la géographie permettent de relier le plan cadastral (fichiers numériques, graphiques) aux registres (fichiers numériques, littéraires) pour servir dans différentes applications.
Un cadastre complet est une condition première du choix de la valeur vénale. En effet, sans la maîtrise de l’information foncière, les services fiscaux ne seraient pas en mesure d’asseoir des bases d’imposition fiables.
b) Un palliatif : le registre foncier urbain
Il ne sera possible d’avoir immédiatement un cadastre achevé comme décrit ci-haut pour l’ensemble du territoire. En attendant la mise en place du cadastre, il convient de rechercher des solutions alternatives, moins lourdes qu’un cadastre mais permettant d’atteindre les mêmes objectifs, tel un registre foncier urbain.
Dans un premier temps, il serait effectué le bilan du mode de fonctionnement actuel, l’inventaire et la compilation des informations et des disponibilités locales (plans, cartographies, registres fonciers, plans cadastraux, historiques des droits , ressources matérielles, ressources humaines) ; ensuite, il serait évalué le complément nécessaire à la confection du plan cadastral et du registre foncier.
Pour les communes, l’adressage et les registres fiscaux réunis aboutissent à ce qu’il est communément convenu de désigner par le vocal de registre foncier urbain (RFU) qui n’est autre qu’un cadastre simplifié. Un registre foncier urbain a été déjà mis en œuvre au Bénin dans les villes de Parakou, Cotonou, Porto Novo et Djougou. Les résultats obtenus sont éloquents et encourageants. Il convient de préciser que la solution du RFU ne doit être qu’un palliatif durant la période de mise en place progressive d’un cadastre véritable. Ainsi, en milieu urbain, là où il n’y a pas encore un cadastre véritable, la mise en place d’un RF l’est intéressante.
Il faut noter qu’en milieu urbain certaines transactions ne portent que sur les peines et soins ( constructions et aménagements), les terrains étant des dépendances du domaine privé de l’Etat. Cette situation influera fortement sur la méthode d’évaluation à retenir, le propriétaire des constructions n’ayant pas toujours un droit réel sur le terrain.
La confection des registres fiscaux permet d’améliorer le processus d’identification de la matière imposable. Elle inclut la conception des registres, les enquêtes et recensements correspondants, Il s’agit d’établir et de générer des listes de contribuables fonciers et de patentes à un niveau déconcentré.
Finalement, les recommandations suivantes ont été formulées :
- « Mettre en place un registre foncier urbain dans les lieux où il n’ a pas de cadastre ;
- Achever dans le moyen terme la mise en place d’un cadastre dans les villes où il existe partiellement;
Utiliser les ressources humaines dont dispose le secteur privé :
- Acquérir des droits d’auteur ou simplement le droit d’usage de la cartographie existante sur le marché ;
- Obliger de porter au registre foncier tout transfert de droits ;
- obliger les officiers publics de délivrer des titres libres de toute charge incluant les taxes foncières aux acquéreurs et de confirmer fa préséance des titres dûment enregistres ou inscrits :
Lier les taxes foncières à la propriété plutôt qu’au propriétaire et autoriser les collectivités locales à inscrire des sûretés réelles sur les propriétés pour le recouvrement des taxes impayées. Cette procédure permettrait le recouvrement de la presque totalité des taxes foncières ».
c) Le marché foncier et immobilier
Le remplacement de la valeur locative par la valeur vénale suppose l’existence d’informations permettant l’actualisation des valeurs en fonction de l’évolution du marché. Auprès de l’administration des Domaines chargée de la délivrance des autorisations de transactions dont la valeur est au moins égale à 10 millions de FCF A, les données suivantes ont pu être collectées :
- en 1995 ; 531 représentant la somme de 23,4 milliards FCF A;
- en 1996 ; 417 représentant la somme de 27 ,5 milliards FCF A ;
- en 1997 ; 494 représentant la somme de 27 ,9 milliards FCF A ;
- en 1998 ; 666 représentant la somme de 49,6 milliards FCF A.
Ces chiffres bien que nettement inférieurs à la réalité des transactions en quantité et en valeur, permettent une révision des valeurs locatives.
D’autre part, l’Etat continue de réglementer les transactions immobilières. En effet, c’est le décret n° 81-683 du 7 juillet 1981 qui fixe les éléments de calcul du loyer des locaux à usage d’habitation. Auparavant, les règles y afférentes étaient fixées par un décret n° 77-527 du 23 juin 1977. Cette réglementation à été modifiée par le décret n°8 l -683 du 17 juin 1981.
Aux termes de l’article 1er du décret 81-683 précité, chaque local d’habitation donné à bail fait l’objet d’une évaluation séparée tendant à déterminer sa valeur réelle puis sa valeur locative. Cette évaluation comprend celle de la valeur du terrain et celle de la valeur de la construction. La valeur du mètre carré de terrain nu et des terrains bâtis est fixée par le décret 11°88- 74 du 18 janvier 1988. La valeur du sol des terrains bâtis est égale à la moitié de celle des terrains nus.
Quant à la valeur locative des locaux, elle est égale au produit de la surface corrigée par le prix de base au mètre carré de chacune des catégories de logements. Or, il résulte des dispositions de ce décret que le montant du loyer est égal au maximum à 14% de la valeur vénale réelle de chaque immeuble.
Malgré l’existence de cette réglementation, les valeurs locatives restent difficilement maîtrisables dans la mesure où le marché de la location existant laisse à désirer. Ce phénomène est accentué par cette réglementation du coût des loyers qui ne tient pas compte de l’évolution du marché foncier. Elle n’est pas, en effet, adaptée à la réalité de ce marché du fait des variations existant au niveau des prix et des valeurs. Ce qui constitue un obstacle de taille à l’actualisation des bases imposables des impôts fonciers.
En réalité, en l’état actuel de la réglementation, il est d’abord procédé à l’évaluation de la valeur vénale à partir de laquelle on calcule la valeur locative. Toutefois, ce dispositif appliqué pour la réglementation des loyers n’est retenu pour la liquidation des impôts fonciers que lorsqu’il n’y a pas de bail portant sur l’unité d’évaluation ou s’il est impossible d’utiliser la comparaison avec une autre unité d’évaluation semblable faisant l’objet d’un bail.
Pourtant, le transfert aux services du cadastre des impôts fonciers avait pour but d’asseoir l’impôt selon le procédé plus objectif de la valeur cadastrale qui passe par une détermination de la valeur vénale.
Une revue globale des situations s’impose. Elle devra tenir compte de l’évolution des revenus fonciers immobiliers. A cet effet, elle s’appuiera sur les informations existantes et relevées plus haut, pour aboutir à une adaptation de la réglementation à la réalité du marché foncier. Seulement, cette adaptation passera nécessairement par la révision des valeurs locatives.
Sous ce rapport, les impôts fonciers seront liquidés sur la base de la valeur cadastrale seulement mais annulant une séquence inutile dans l’opération : celle qui consiste à calculer la valeur locative. Dans ce cas, l’impôt étant un pourcentage de la base, il faut simplement baisser en conséquence le pourcentage.
Toutefois; il convient de noter que le marché foncier tel qu’il existe aujourd’hui n’est pas transparent.
Dans tous les cas, le remplacement de la valeur locative par la valeur vénale posera le problème du renchérissement de l’impôt. La position de l’administration fiscale est claire à ce propos :
« Si nous devons aujourd’hui, avec les dispositions législatives actuelles, déterminer les impositions à partir de la valeur vénale des immeubles cela nous conduirait à multiplier les impositions au moins par six. Ce qui serait sans commune mesure avec la capacité contributive actuelle des contribuables. Par ailleurs, il faut signaler l’inexistence d’un marché immobilier véritable au Sénégal. Les conditions de détermination de la valeur vénale des immeubles par le marché ne sont pas réunies »[[4]]url:#_ftn4 .
En définitive, il s’agit bien là d’une question à approfondir. Si le remplacement devait se faire, elle s’accompagnerait nécessairement d’une importante baisse des taux en vigueur, compte tenu du grossissement des bases.
D – L’intégrité de l’assiette fiscale
L’objectif général est d’augmenter le nombre de contribuables locaux, grâce à une meilleure intégrité de l’assiette fiscale, une baisse consécutive des taux d’imposition et une restriction des exonérations pour diminuer d’autant les incitations à l’évasion fiscale.
1 ° La révision des règles d’exception
a) Le réaménagement des exemptions permanentes
Le diagnostic a soulevé la question de l’opportunité du maintien de l’exonération en faveur des immeubles occupés par le propriétaire lui-même à titre de résidence principale lorsque la valeur locative est inférieure à 1 500 000 FCFA. Cette exonération édictée suite à la demande pressante des retraités pour une exonération de leur résidence du fait de la baisse de leur revenu lors de la mise à la retraite est applicable à d’autres catégories sociales.
Dans la pratique, cette disposition soulève des difficultés liées à la détermination des immeubles devant bénéficier de l’exonération dans les cas où la résidence principale du contribuable n’est pas identifiée de manière précise. Tel est le cas chaque, fois que le contribuable est polygame et dispose donc de plusieurs résidences réputées égales en application du droit de la famille. La détermination de la résidence principale devient plus complexe, voire impossible, si l’on sait que le nombre d’épouses peut aller jusqu’à quatre et qu’elles peuvent résider dans des villes différentes.
Il convient donc de supprimer l’exonération de 1 500 000 FCFA de la résidence principale, compte tenu du caractère discutable de la mesure au regard de l’équité et du détournement dont elle fait l’objet.
b) La suppression des exemptions temporaires
Les exemptions concernent les constructions nouvelles et varient de 5 à 16 ans (cf. chapitre 2). Elles encouragent la construction en général. Cet objectif économique et social demeure encore aujourd’hui.
Toutefois, il semble que le recours à une autre technique financière serait souhaitable. Il serait en effet, plus indiqué que ces incitations financières qui ont plutôt un caractère redistributif, soient assurées par l’Etat. Celui-ci dispose à cet égard d’une gamme très variée.
Il s’agit :
- de la réduction d’impôt pour investissement de revenu dont bénéficient les personnes qui investissent dans l’immobilier;
- de la réduction de 15 à 5 pour cent du droit d’enregistrement sur les acquisitions
- de logement dont la valeur n’excède pas 25 millions de FCFA;
- de l’exonération de la taxe sur les opérations bancaires des prêts destinés à la construction de l’habitation principale lorsque la valeur des constructions ne dépasse pas 15 millions de FCF A ;
- de l’exonération de la TVA des livraisons à soi-même ou pour le compte de personnes physiques, de travaux immobiliers dont la valeur n’excède pas 15 millions.
Au regard de ces multiples instruments fiscaux destinés à encourager le logement social, auquel il faut ajouter les instruments financiers tels que la bonification des taux d’intérêt de la Banque de l’Habitat du Sénégal financée par une donation budgétaire initialement mise en place par l’Etat au moyen du Fonds d ‘Amélioration de l’Habitat Urbain, il devient difficile de continuer à pousser l’épargne nationale vers un investissement qui ne participe que faiblement à la formation des ressources publiques locales du moins en rapport avec son potentiel.
Une telle mesure fiscale tendrait donc à augmenter le rendement de la CFPB de 1,367 milliards FCF A. Cette variation positive est enregistrée dans toutes les régions. Dakar bénéficierait largement de cette mesure aux côtés de Saint-Louis, Louga et Kaolack dans une moindre mesure.
c) La suppression des abattements
Comme nous l’avons exposé dans le chapitre 2. les abattements de 40% pour les maisons et 50% pour les usines ne se justifient plus depuis que l’impôt sur les revenus fonciers a été institué en 1980.
Au surplus, la proposition de remplacer la valeur locative par la valeur marchande induit la suppression desdits abattements. En effet, l’évaluation de la valeur marchande utilise déjà un coefficient de vétuste qui ferait double emploi avec les abattements.
C’est l’assiette actuelle de la CFPB qui est prise en compte dans la détermination du rendement additionnel suite à une suppression des abattements. Cette même assiette est répartie en « habitation » et « non habitation » suivant les coefficients de répartition de la CFPB. La suppression des abattements a plus d’impact que celui des exonérations, le rendement additionnel est de 2,02 milliards FCFA par an.
d) Une gestion transparente des dégrèvements
Certains dégrèvements n’entraînent pas de remarque particulière, notamment ceux qui sont accordés pour erreur ou pour circonstances particulières entraînant des pertes de revenus pour les propriétaires. Par exemple, lorsqu’une maison est inoccupée ou que des établissements industriels ou commerciaux sont temporairement fermés, ou que l’immeuble est détruit, l’allocation de remise ou de modération peut alors se justifier.
Le problème concerne plutôt les dégrèvements accordés pour gêne ou indigence. L’absence d’information officielle ne permet pas de mesurer leur ampleur, ni d’apprécier leur impact véritable et de comprendre la doctrine administrative en la matière. Le souci d’un traitement équitable des contribuables devrait conduire à une gestion plus transparente.
Il conviendrait peut-être de confier la compétence relative aux dégrèvements à une structure collégiale composée des représentants des services d’assiette, de recouvrement et de la collectivité locale concernée. Les décisions de la commission feraient systématiquement l’objet d’une publicité, la plus large possible.
2° La simplification du système de taxation
La simplification du système de taxation revient à réaménager les bases et les taux.
a) La transformation de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TOM)
La TOM est assise sur la valeur locative de la propriété foncière. Elle est l’unique source de financement du service de la collecte et du traitement des ordures ménagères. Le diagnostic a montré, à Dakar, que le coût du service est supérieur à l’émission. Ce coût est-il un coût économique réel, correspondant à un prix de concurrence saine ?
L’écart entre l’assiette potentielle et actuelle de la TOM s’élève en valeur absolue à plus de 60 milliards de FCF A, l’écart de l’émission potentielle est à 2,6 milliards pour l’ensemble du Sénégal et à 2,2 milliards pour la région de Dakar. Le taux de recouvrement des émissions actuelles est en moyenne de 36, 1 % pour la période de 1993-1996. Si on se réfère aux émissions potentielles, l’écart de recouvrement s’élève à 798 millions à Dakar et à 900 millions pour l’ensemble du pays pour un taux effectif d’imposition potentiel de 1,2%.
Pour la transformation du système actuel en une tarification, il est nécessaire de connaître le coût du service depuis la pré-collecte jusqu’au traitement des ordures ménagères. La connaissance de ce coût est aujourd’hui possible grâce au Nouveau Système de Nettoiement de la Communauté Urbaine de Dakar (NSN). Avec ce système, il est possible d’avoir des données statistiques fiables sur la qualité d’ordures ménagères collectées grâce à l’installation d’un pont à bascule à l’entrée du dépotoir de Mbeubeuss. Avec ce pont, il est pesé quotidiennement la quantité d’ordures déversée à la décharge.
Une évaluation du NSN menée en 1998 par l ‘Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’énergie (ADEME) révèle que 829 tonnes de déchets ménagers sont collectées quotidiennement dans l’ensemble du territoire de la CUD soit, en moyenne, 0,42 kg par habitant.
II ressort des données statistiques de l’étude que 13,7 kg d’ordures sont collectés par habitant et par mois pour un coût moyen de 76,54 FCFA.
Si l’on va dans le sens de retenir un tarif unique pour toutes les propriétés à usage d’habitation, il faudra fixer un prix par habitant et par mois qui puisse couvrir le coût moyen. Puisque le coût de la collecte par habitant et par mois varie selon les zones, il est aussi possible de fixer le Prix du tarif en fonction de coût moyen de la collecte des ordures de chaque zone.
A titre d’exemple, si on fixe le prix de la collecte par habitant et par mois à 76,54
FCF A dans tout le territoire de la CUD avec une moyenne de 7,82 habitants par ménage, chaque ménage devra verser mensuellement une somme égale à 598,82
FCF A, pour couvrir les charges de la collecte. Cette somme cadre bien avec le point de vue des ménages recueilli dans l’étude de l ‘ADEME. En effet, 32, 7% des ménages proposent moins de 1000 FCF A par mois.
Il serait plus souhaitable de renommer la TOM en« taxe d’assainissement», ce qui contribuerait certainement à moderniser la perception de sa fonction véritable.
b) La transformation de la patente ( avènement de la Contribution économique locale, CEL)
La contribution des patentes se subdivise en deux grandes catégories : la patente de droit commun et la patente forfaitaire. La patente de droit commun peut comprendre selon le cas un droit fixe, une taxe déterminée, une taxe variable, un droit proportionnel, une taxe complémentaire et une taxe sur la valeur locative des locaux professionnels. Elle est recouvrée par voie de rôle contrairement à la patente forfaitaire. Cette dernière est en principe applicable aux petits commerçants qui l’acquittent par anticipation, c’est à dire sans établissement de rôle. Le droit proportionnel et la taxe sur la valeur locative des locaux professionnels sont déterminés actuellement sur la base du foncier.
La transformation de la contribution des patentes devra-t-elle concerner la patente forfaitaire ou seulement la patente de droit commun? Dans l’hypothèse d’un remplacement de toute la contribution des patentes par une surtaxe non- résidentielle, toutes les collectivités locales continueront-elles à percevoir des recettes au moins égales à celles qu’elles perçoivent aujourd’hui? Quel sort sera réservé aux contribuables actuellement redevables d’une patente et qui n’ont pas de locaux professionnels ? Quel sort sera réservé au paiement par anticipation de la patente forfaitaire ?
Le consultant recommande la transformation de la patente en une surtaxe non résidentielle à taux unique sur la valeur des propriétés résidentielles.
Le remplacement de la contribution des patentes par une surtaxe foncière sur les propriétés non-résidentielles consiste à substituer aux multiples bases actuellement retenues pour sa liquidation, une seule d’entre elles, à savoir la valeur foncière des locaux à usage professionnel. Cette valeur foncière est actuellement la base du droit proportionnel de la patente. On peut penser qu’une telle opération conduit à une restriction de la base imposable et subséquemment à une perte de recettes. Or, lorsqu’on examine l’écart au niveau de l’assiette du droit proportionnel de la patente, on découvre un écart important entre l’assiette actuelle et l’assiette potentielle.
L’analyse de cet écart peut être faite à partir des statistiques publiées par la Direction de la Prévision et de la Statistique (DPS ). La DPS produit chaque année des états qui présentent les données agrégées des entreprises au niveau du Centre Unique de Collecte de l’Information (CUCI). Ces données contiennent une rubrique « loyers à usage professionnel» correspondant aux services consommés par les entreprises du secteur moderne. Cette rubrique ne comprend pas les loyers d’habitation pour le personnel, ni les locations de matériel et de main d’œuvre, ni les loyers de crédit-bail. Elle ne comprend pas non plus l’amortissement des immobilisations des entreprises.
Pour les 1023 entreprises du secteur moderne comprises dans l’enquête menée en 1992 dans le cadre de l’élaboration des comptes nationaux, on relève que le compte « Loyers à usage professionnel » s’élève à un montant de 102, 1 milliards FCF A. Cette valeur constitue une base minimale pour le droit proportionnel de la patente. Elle ne comprend pas les immobilisations des entreprises au demeurant imposables, mais simplement les loyers payés par ces dernières.
Sur la base des données de 1992, la transformation de la patente en une taxe sur les propriétés non-résidentielles offre une base d’imposition au moins égale à l’assiette potentielle du droit proportionnel actuel de la patente, soit 102, 1 milliards de FCFA.
Les recettes actuelles de toutes les patentes sont en moyenne de 6 milliards de FCFA par an soit environ 6% de l’assiette potentielle du droit proportionnel. En d’autres termes dans l’hypothèse d’un taux de recouvrement de 100%, le taux de la surtaxe peut être fixé autour de 6%. Toutefois, il convient de souligner qu’un taux de recouvrement de 100% est probable même si du fait que la patente payée par anticipation est comprise dans les recettes et non dans les émissions, les taux de recouvrement actuels de la patente sont supérieurs à 100%. Pour plus de réalisme il semble nécessaire de porter le taux de la surtaxe foncière à 8% sur une assiette de 102, 1 milliards de FCF A soit une émission de 9, l milliards de FCFA en escomptant un recouvrement au moins égal à 6 milliards de FCFA, de sorte que l’impact de la réforme sur les recettes soit neutre.
L’administration fiscale reste sceptique quant à la transformation de la patente en surtaxe non résidentielle à taux unique sur la valeur des propriétés non résidentielles :
« Il faut signaler à ce niveau que l’essentiel des recettes de la patente provient de l’imposition de matériel d’exploitation des usines. La méthode proposée risque d’entraîner une forte perte. Nous proposons d’accompagner la proposition de simulations pour mesurer son incidence réelle sur les recettes. Nous sommes, par contre, pour la simplification du calcul sur la patente qui est, il faut l’admettre, très complexe».
Le second volet qu’implique la réforme de la patente est le sort réservé à la patente forfaitaire. A l’absolu, dans la logique de la réforme préconisée, elle devrait être supprimée pour être refondue dans la nouvelle formule de patente.
Mais les contribuables soumis au régime du forfait ne disposent pas en principe de locaux professionnels ou disposent de locaux dont la valeur foncière ne correspond pas au volume de leurs activités (c’est une forme d’évasion fiscale ou de fraude).
La suppression de la patente forfaitaire payée par anticipation entraînera une disparition de leur imposition. Une telle solution consiste à déplacer la charge fiscale des commerçants du secteur informel vers les industriels.
L’idée de base est que si on veut maintenir le niveau des recettes et supprimer une catégorie de personnes imposables, il faut nécessairement ajouter leur contribution correspondante à celle des autres. En d’autres termes, une restriction des personnes imposables aboutit. si on ne veut pas de pertes budgétaires, à un élargissement de la base imposable pour les personnes qui demeurent assujetties ou à une hausse du taux d’imposition, toutes choses qui accroissent la charge fiscale. Cela n’est pas souhaitable pour des raisons de compétitivité.
Pour autant, il ne faut pas renoncer à la recherche de la transparence au niveau de la patente forfaitaire. A cet égard, il faut rappeler la nécessité d’émettre un rôle de régulation de la patente forfaitaire payée par anticipation et prévoir la signature du rôle par l’ordonnateur du budget de la collectivité locale et sa publication.
Finalement le consultant recommande deux actions principales :
« a- Modifier la base de la patente de commun en prenant comme seule assiette la valeur foncière des locaux professionnels et fixer un seul taux d’imposition,
b- Mettre en place un rôle de régularisation des patentes forfaitaires payées par anticipation, le faire signer par l’ordonnateur et le représentant de l’autorité de tutelle et le publier ».
D’une manière générale, la réforme de la patente reste une action inévitable. Dans ses observations sur le rapport du consultant, l’administration fiscale esquisse une série de cinq propositions qui méritent une attention sérieuse:
« – étudier la faisabilité d’un système d’imposition à la patente qui comporte un seul droit sans perte de recettes, étudier les moyens d’améliorer les systèmes de paiement par anticipation (P.P.A.) :
- examiner la faisabilité de l’élargissement de la patente forfaitaire,
- étudier les moyens de procéder au recensement exhaustif des propriétés dans la perspective d’un élargissement de l’assiette du foncier,
- étudier la faisabilité d’un système d’évaluation simple et fiable des bases foncières ».
c) La contribution économique locale : une opportunité de renforcement de ressources financières des collectivités territoriales sénégalaises ?
Au Sénégal, depuis le 20 mars 2018, le système fiscal local a connu des modifications importantes qui sont considérées par le pouvoir public central comme des avancées majeures par rapport à l’objectif de mise en place de mécanismes rénovés de financement du développement territorial. En effet, un nouvel impôt dénommé « contribution économique locale (CEL) » est perçue au profit des collectivités territoriales en plus d’impôt foncier rénové. La CEL remplace ainsi la contribution des patentes, une vieille imposition héritée du système colonial français.
Rappelons que, par définition, l’impôt est considéré comme un prélèvement pécuniaire, de caractère obligatoire, effectué en vertu de prérogatives de puissance publique, à titre définitif, sans contrepartie déterminée, en vue d’assurer le financement des charges publiques de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics administratifs.
A ce titre, le législateur sénégalais cherche à renforcer les ressources financières des collectivités territoriales à travers une meilleure lisibilité et certainement une meilleure efficacité de cet impôt professionnel. En effet, la CEL est due par les acteurs territoriaux exerçant une activité économique.
Au regard du niveau de développement du tissu économique des collectivités territoriales, sommes-nous ainsi tentés de s’interroger sur le sens et la pertinence de la réforme introduite par la loi n°2018-10 du 20 mars 2018 modifiant le code général des impôts. Quelles sont les innovations introduites par ladite réforme ? Quelles sont les implications attendues sur la mobilisation des ressources fiscales locales ? Autant de questions qui invitent à une réflexion approfondie du système fiscal local en lien avec l’autonomie financière des collectivités territoriales. Il reste entendu que le phénomène fiscal ne peut être isolé d’autant que la neutralité de la fiscalité n’est plus admise par les économistes modernes.
Dans un contexte de développement économique territorial, l’intérêt de cette approche est certes de « démocratiser » le phénomène fiscal réservé aux seuls initiés et parfois inaccessible aux acteurs territoriaux, mais également de permettre aux exécutifs locaux d’en cerner la signification, en vue de mettre en œuvre des stratégies efficaces sur le terrain, afin de créer les conditions d’un rendement plus accru de cet nouvel impôt local.
La contribution des patentes, un impôt désuet et antiéconomique
La contribution des patentes, était prélevée sur toute activité commerciale ou professionnelle qui s’exerce sur l’espace de la collectivité territoriale. Elle était due par toute personne qui exerce sur le territoire un commerce, une industrie, une profession à l’exclusion des personnes exerçant des activités salariées au sens du code du travail.
Or, dans les économies modernes, la fiscalité n’est plus seulement une matière juridique, économique et sociale. Elle est devenue un enjeu politique majeur notamment des politiques publiques locales dans une approche de territorialisation des politiques publiques.
Sous ce rapport, faire payer un impôt à une entreprise sur la base simplement de son patrimoine productif peut être considéré comme un obstacle à l’investissement. Alors que nos territoires, tentent, tant bien que mal, d’attirer des investisseurs à même de créer de l’emploi en valorisant les ressources locales, il devenait incompréhensible de maintenir la contribution des patentes, du moins en son état. Autrement dit, comment les collectivités territoriales peuvent-elles inciter les opérateurs économiques à réaliser plus d’investissements productifs sur leur territoire et, en même temps, les faire payer davantage d’impôt parce qu’ils accumulent plus de patrimoine productif.
En effet, faudrait-il le rappeler, cet impôt remplacé en France, où il est né, par la taxe professionnelle, a été supprimé depuis 2010 dans le but de rétablir la compétitivité de leurs entreprises. Le caractère anti-économique de cet impôt avait fini de faire l’unanimité.
Notons que dans notre pays, les patentés contribuaient pour près de 60% des recettes fiscales communales. Cette contribution, entièrement versée aux collectivités territoriales, était à la fois assise sur le foncier et sur les activités industrielles et commerciales. En 2004, à la faveur de l’instauration de la contribution globale unique (CGU), la patente était devenue une composante de cet impôt synthétique réparti entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Sont assujettis à la CGU les personnes physiques dont le chiffre d’affaires annuel, tous droits et taxes compris, n’excède le seuil de 50 millions de francs CFA lorsqu’il s’agit des opérations de livraison de biens et 25 millions francs CFA lorsque les opérations sont relatives à de la prestation de services.
Force est de constater que l’avènement de la CGU n’a pas permis un relèvement substantiel du niveau de recouvrement des ressources fiscales locales. La faible maîtrise de l’assiette, le déficit de collaboration entre acteurs (Trésor, service fiscal, Elus locaux et secteur privé), l’éloignement des services fiscaux régionaux par rapport à certaines communes et l’insuffisance de ressources humaines dédiées ont constitué des entraves majeures dans le processus d’émission et de recouvrement de la contribution à la patente. Par ailleurs, l’absence jusqu’alors d’indicateurs de performance liés au recouvrement des impôts locaux avait amené les services fiscaux à privilégier les impôts d’Etat beaucoup plus « rentables ».
Dans ce contexte et dans une perspective de développement économique territorial, la réforme de la contribution des patentes ainsi que la CGU s’imposait de l’avais de bon nombre d’acteurs territoriaux.
La CEL, un levier de développement économique territorial ?
La vision de développement axée sur l’émergence économique et la compétitivité de nos territoires sont deux options qui passent par une croissance économique inclusive et une territorialisation des politiques publiques.
A cet effet, les objectifs déclarés de renforcement des ressources financières des collectivités territoriales et de développement des économies locales vont de pair. C’est dans cet esprit que le législateur sénégalais s’est engagé dans la modification de certaines dispositions du code général des impôts. Entre autres innovations introduites, l’instauration de la CEL semble répondre à la double exigence de fournir aux collectivités territoriales des ressources financières additionnelles et de promouvoir la création de richesse sur nos territoires. L’entreprise étant au cœur de processus, l’amélioration de la compétitivité des entreprises locales va ainsi avec une fiscalité adaptée.
Rappelons que la CEL est due par ‘’toute personne qui exerce au Sénégal un commerce, une industrie, une profession et soumise, par ailleurs, á un régime d’imposition au bénéfice réel’’.
En effet, du point de vue de son champ d’application, la nouvelle contribution prend dorénavant la forme d’un « serpent à deux têtes » : une première contribution assise sur la valeur locative des locaux (CEL/VL0) servant à l’exercice des professions imposables et une seconde sur la valeur ajoutée (CEL/VA).
La contribution sur la valeur locative des locaux professionnels est due au titre des locaux imposables dont le redevable disposait pour les besoins de son activité au 1er janvier de l’année d’imposition. Elle est calculée sur les locaux, installations et agencements assimilables à des constructions ainsi que les terrains utilisés pour les besoins d’une activité imposable au taux de 15 % ou 20 % selon la matière imposable concernée. La totalité des recettes tirées sur les actifs locaux des imposables au titre de cette contribution est réservée à la collectivité territoriale qui abrite le site.
La seconde part est assise sur la valeur ajoutée générée par les entreprises exerçant au 1er janvier de l’année d’imposition une activité soumise à cet impôt liquidé au taux de 1 % de la valeur ajoutée dégagée au cours de l’exercice précédent sans être inférieure à 0,15 % du chiffre d’affaires ou 0,075 % pour les entreprises relevant des secteurs à faible marge. La déclaration est effectuée par le biais d’un formulaire spécifique déposé au fisc au plus tard le 30 avril de l’année d’imposition. Cette taxation collectée au niveau national est répartie aux différentes communes du pays suivant des critères déterminés par voie législative.
Un comité technique composé de représentants du département ministériel de la Gouvernance territoriale, de celui de l’Économie, des Finances et du Plan, des associations d’élus et des autres familles d’acteurs, se penche actuellement sur le projet de texte fixant les règles de répartition de la CEL-VA en privilégiant deux pistes : une allocation minimale á l’ensemble des communes, la stabilisation totale ou partielle pour atténuer des pertes importantes de recettes des communes bénéficiaires de l’ancienne patente et une allocation basée sur l’équité et la solidarité.
Du point de vue du législateur, ce nouveau dispositif de prélèvement tendrait à assurer d’une part, une grande simplicité et un meilleur rendement de l’impôt et, d’autre part, une bonne équité budgétaire entre les communes avec la répartition du produit national de la contribution sur la valeur ajoutée.
Du point de vue des collectivités territoriales, la réforme pourrait s’apprécier sur, au moins, deux angles : la territorialité et l’efficacité.
Concernant la territorialité de la CEL, la difficulté majeure serait de savoir la collectivité territoriale de rattachement, car la loi fait du lieu de déclaration, le lieu de paiement de cet impôt. Une entreprise pourrait ainsi avoir son siège dans les villes, proche des administrations centrales et des infrastructures de communication et de transport, et ses activités menées sur l’hinterland. Cette ressource ne va-t-elle pas alors bénéficier davantage aux grands centres urbains au détriment des ex-communautés rurales érigées en communes ?
Le recensement exhaustif des contribuables, l’évaluation régulière de l’assiette et le traitement des données, préalables à une efficacité de tout impôt, supposent une démarche conjointe et concertée des acteurs territoriaux et la mobilisation de ressources humaines, matérielles et logistiques à la hauteur des rendements escomptés. La mise en place prochaine des commissions locales sur la fiscalité permettrait –il d’assurer un recouvrement correct du potentiel fiscal des collectivités territoriales ?
Le premier défi est d’abord lié à l’opérationnalisation de ces instances nouvellement instituées. Aussi, faudrait –il que des tournées soient organisées de manière régulière et complète par les services des impôts et du trésor souvent confrontés sur le terrain à des problèmes de moyens humains et logistiques ainsi que de disponibilité. L’amélioration du niveau global de recouvrement des impôts locaux et l’unification des contributions sur la valeur ajoutée à la fois aux titres de la CEL et du Fonds d’équipement des collectivités territoriales (FECT) dans un système de financement rénové du développement territorial constituent également les défis majeurs de la politique de décentralisation et de la gouvernance territoriale.
Enfin, au regard des objectifs déclarés de l’Acte III de la politique de décentralisation, les enjeux de développement économique territorial et de territorialisation des politiques publiques devraient nécessairement nous conduire à une refondation du système fiscal local.
Dr Hamid FALL
Inspecteur principal des Impôts de Classe Exceptionnelle
Docteur en Droit
fallhamid@gmail.com