Heurts, errements, mal malien… (Par Mame Gor Ngom)

Au Mali, s’il y a « match » entre une Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) vieille de 47 ans et un Comité national pour le salut du peuple (Cnsp) né d’un coup d’Etat qui a renversé le défunt Ibrahima Boubacar Keïta le 18 août 2020, c’est qu’il y a une maldonne. La Cedeao qui s’est naturellement invitée au jeu en tant qu’arbitre, a posé des actes qui passent, aux yeux des militaires, comme une manière de les disqualifier de façon expéditive. Dés lors, les sanctions prises le 9 janvier dernier à l’issue du 4e sommet extraordinaire de l’instance sous régionale, sont qualifiées d’inhumaines, pouvant pousser à une rébellion fatale aux gouvernants. C’est du classique.

La fermeture des frontières entre le Mali et les États membres de l’organisation, le gel des avoirs maliens au sein de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (Bceao), la suspension de toute aide financière des institutions financières de la Cedeao, celle des transactions avec Bamako, sont autant de mesures qui en rajoutent aux difficultés de ce pays et exacerbent les misères des populations au bord du gouffre. Si celles-ci se sont mobilisées avec autant de ferveur, autant d’engagement, c’est parce qu’elles partagent l’idée largement répandue selon laquelle la Cedeao n’est rien qu’un conglomérat de chefs d’États qui se solidarisent pour pérenniser leur règne. Qu’elle ne prend pas assez en charge les préoccupations des peuples qui aspirent à plus d’épanouissement, plus de liberté, à un véritable bien-être qui procurent une démocratie pas surfaite.

Qu’elle agit parcimonieusement en fermant les yeux sur des dérives, des coups constitionnels perpétrés en plein jour avec des conséquences désastreuses, des vies abrégées, des carrières brisées, des avenirs bouchés, des rêves compromis sous l’autel d’abjectes compromissions. Il est donc très simpliste voire désinvolte d’affirmer sans ambages que cette colère déversée dans la rue, sur les réseaux sociaux, les forums sont l’œuvre de « souteneurs de coups d’État». Pour les yeux pas beaux des militaires. Si l’appel de la junte a été entendu, c’est en grande partie à cause du contexte et de l’échec des dirigeants respectifs maliens.
Pourquoi la Cedeao est aussi impopulaire ? La réponse coule de source. Elle n’a pas su garder intacte sa ligne directrice qui était à l’origine de sa création le 28 mai 1975. Elle a beaucoup perdu de sa superbe si l’on sait qu’elle fait partie des organisations d’intégration les plus abouties du continent. Si aujourd’hui, elle donne l’impression d’agir à la solde d’une France omniprésente en Afrique francophone, il est clair que la cassure est béante.

Cette perception tenace sur le cas malien, s’explique par le comportement suspect de l’Elysée qui se précipite à se réjouir maladroitement des sanctions qu’il n’à cessé de brandir depuis que Bamako a jeté son dévolu sur la société russe Wagner considérée comme de sombres mercenaires par un Paris manifestement surpris par la détermination des nouveaux tenants du pouvoir malien à être le «maître de leur destin». C’est justement là où le bât blesse. Tout est ici question de réalisme et de protection fort opportuniste des intérêts du moment de son pays. Dans les relations entre les États, comme dans la vie, il arrive le plus souvent que la fin justifie les moyens. De la realpolitik qui abhorre le sentimentalisme et utilise les canaux efficaces pour se faire entendre, comprendre et pour être soutenu par la grande majorité, pour exister.

Des leçons à tirer

Les impressionnantes manifestations constatées de Bamako à Tombouctou, Sévéré et presque partout dans le pays, les nombreux coups de gueule contre les mesures disproportionnées, illustrent à suffisance un échec de la Cedeao.
Les peuples sont en train de rectifier cette importante organisation. Il faut qu’elle se rectifie. Ils sont debout pour le Mali, « stand With Mali ». Ils ne sont pas forcément populistes. Ils ne sont pas toujours manipulés comme le laissent entendre des analystes très savants, aux déductions recherchées qui dépassent manifestement l’entendement de ceux-là qu’ils sont censés éclairer.

«Nous faisons face à des sanctions prises par les présidents des nations sœurs de la Cedeao et de l’Uemoa parce nous avons décidé de prendre notre destin en main, parce que nous avons décidé de choisir des voies de partenariat gagnant-gagnant. La voie de la diplomatie n’est pas à ignorer totalement mais je souhaite que nos autorités gardent comme priorité la souveraineté de notre pays, la sécurité et le mieux-être du peuple». Cet extrait d’un « message aux Maliens » du chanteur Salif Keïta est un condensé non exhaustif des aspirations qui vont au-delà de la junte, de la fin de la transition et d’une simple organisation d’élections qui ne sont pas une panacée pour un retour aux normes sous-tendu par une stabilité perdue depuis des décennies.

La voix de cette légende de la musique porte et assume un patriotisme tiré de ses solides références culturelles, traditionnelles. Elle fait autorité. N’avait-il pas très tôt averti, sur un ton empreint de familiarité, d’affection et de fermeté IBK-son regretté «Kôro» (grand-frère en bambara)- de prendre ses responsabilités et de se départir du joug hexagonal avant qu’il ne soit trop tard ? La suite lui a donné raison. Un putsch, une démission forcée, la maladie, le silence. Silence éternel. Resquiescat in pace ! Le Mali continue de traverser une mauvaise passe. Qu’est-ce qu’il est profond le mal malien ! Beaucoup de Maliens espèrent leur salut dans la capacité de discernement d’une armée qui a souvent montré une figure repoussante tout au long de l’histoire de ce vaste pays de l’Afrique habitué des parenthèses dramatiques.

Le Colonel Assimi Goïta et ses frères d’armes ont peut-être compris qu’on ne leur a pas délivré un blanc-seing pour agir à leur guise. Les soutiens massifs d’aujourd’hui à leur cause, peuvent se transformer en dégoût et en fortes oppositions s’ils ne parviennent pas à utiliser à bon escient le crédit du moment, en posant des actes salutaires dépouillés de tous les déchets politiciens.

Ils se montrent jusqu’ici mesurés, peu bavards, la tête sur les épaules. Ils donnent l’impression d’avoir pris la pleine mesure de la gravité de la situation. Ils doivent être conscients que la versatilité de l’opinion est comme le revers et l’envers d’une main…