Finances et nouvelles technologies : le Sénégal à l’heure des cryptomonnaies.
Des institutions bancaires qui ont fait faillite. Des emplois perdus. Telles sont les conséquences de la crise financière de 2008 partie des États-Unis avant de faire le tour de la planète. De cette pénombre, va prétendre jaillir une lumière.
Satoshi Nakamoto crée une cryptomonnaie, le bitcoin. Le 3 janvier 2009, la première transaction est réalisée. Pour l’occasion, 10 bitcoins sont envoyés par son créateur à Hal Finney, un cryptographe travaillant pour Pretty Good Privacy. Mais les premiers échanges de cette monnaie électronique ne se produiront réellement qu’une année plus tard. Le 22 mai 2010, un développeur américain achète deux pizzas à 10 000 bitcoins. Depuis, la révolution des cryptomonnaies poursuit sa marche inexorable. Les monnaies fiduciaires peuvent trembler.
Le pouvoir leur échappant au profit de cette « alternative virtuelle ». « Elles ont la spécificité de n’être rattaché à aucun État et ne sont régulées par aucune banque centrale », souligne l’Ebook de l’Institut Mines-Telecom Business School sur le thème « l’économie numérique de demain/ « les cryptomonnaies, origines et avantages ».
« Les crypto-monnaies présentent des solutions à des équations sociétales : en contribuant à protéger les données privées des utilisateurs, en réduisant la pauvreté et les coûts de transaction et l’hyperinflation », affiche la note lue à Dakaractu.
Férus des nouvelles technologies de l’Information et de la Communication, les sénégalais ne vont pas rester des spectateurs. Ils embarquent à bord du train même si pour certains d’entre eux, il s’agit davantage de curiosité que d’une bonne maîtrise de cette nouvelle monnaie qui veut redonner le pouvoir au « peuple ».
C’est le lieu de le préciser, car le fonctionnement d’une cryptomonnaie et sa sécurité reposent sur ce qu’on appelle la cryptographie asymétrique et la technologie Blockchain. « La cryptographie asymétrique est un procédé qui intègre deux clés de chiffrement, une clé publique et une clé privée. Par convention, la clé de chiffrement du message est appelée clé publique (et peut-être communiquée sans restriction aucune), et la clé de déchiffrement du message est appelée clé privée », explique lejournaldunet parcouru par Dakaractu. La Blockchain peut être donc vue comme un grand livre dans lequel toutes les transactions sont enregistrées. Des mineurs sont à la manette pour assurer l’intégrité des transactions.
Bineta Ngom se souvient d’avoir chopé le virus en 2017. « Alors que j’étais en discussion avec un ami camerounais, il m’a posé la question de savoir si je connaissais le bitcoin. J’ai répondu par la négative et il m’a alors proposé de faire des recherches sur Google. Je me suis exécutée et je lui fais un retour sur ce que j’avais trouvé. C’est à partir de cet instant là que je suis tombée amoureuse des cryptomonnaies », confesse cette jeune sénégalaise pour qui, il n’était pas question de rester en rade. « Je faisais des recherches parce qu’il fallait que je sois au diapason. Je me suis inscrit dans des groupes où tout le monde parlait de Blockchain. Il fallait que je sois au même niveau d’information », poursuit-elle. « Moi j’ai été initié par mon grand frère qui était lui aussi sous tutelle », confie à Dakaractu un informaticien. « J’ai ensuite remarqué qu’à chaque fois que je faisais des transactions, on me proposait le bitcoin comme monnaie », se remémore-t-il. Comme il était sous l’aile d’un « leader », il ne pouvait accéder à ses gains qu’à travers ce dernier. Ce qui fait réfléchir notre informaticien qui posera la question à son grand frère : « si le leader décédait du jour au lendemain, ne perdrait-on pas nos sous ? » Son frère aîné prend alors conscience de la « bêtise » qu’ils ont faite en confiant leur destin à un inconnu. « C’est ainsi que j’ai pris ma liberté en m’investissant dans des recherches à n’en plus finir. Je suis de nature très opiniâtre. Quand je m’investis dans quelque chose, j’y vais à fond. Il fallait à cet effet que je comprenne les tenants et les aboutissants des monnaies virtuelles », revendique l’informaticien interviewé par Dakaractu.
À cette période, le Mobile-banking avait déjà fait son entrée dans la vie des sénégalais. « En 2015, 60% des utilisateurs sénégalais de monnaie mobile conservaient des avoirs dans un compte mobile banking et 20% s’en servaient régulièrement pour acheter des biens et services », révèle le rapport intitulé « Mobile Banking, un potentiel d’inclusion financière au Sénégal : le rôle de la proximité géographique des points de service de transfert d’agent sur l’adoption ». Il a été préparé par les professeurs Abdoulaye Ndiaye et Adoum Weibigue.
En même temps, la valeur du bitcoin a connu une hausse incroyable. De 0,07 euro (45 francs CFA) en 2010, un bitcoin est passé à 16 323 euros (10,7 millions FCFA) en 2017. Une évolution qui a eu des répercussions positives pour tous ceux qui avaient investi dans cette monnaie. Des « coins » parallèles voient le jour pour concurrencer le Bitcoin. L’un d’entre eux qui n’avait pas l’air d’être sérieux, le DOGECOIN attire pourtant l’attention de Bineta Ngom qui place à l’époque 30 000 francs. « Je l’avais même oublié. Mais quand je suis retourné dans mon compte pour vérifier, j’ai trouvé plus d’un million de francs », se marre la jeune entrepreneuse. En fait, Bineta Ngom dirige « Bleu comme la Mer », une société de vente de produits halieutiques. « La première au Sénégal qui accepte le bitcoin comme moyen de paiement », précise-t-elle.
Son compatriote informaticien lui, préfère se limiter à la vente et l’achat de bitcoins.
« Il faut savoir qu’il y a trois méthodes pour gagner de l’argent avec les cryptomonnaies. La première consiste à faire du trading. C’est une sorte de pari sur le cours du Bitcoin qui peut faire gagner beaucoup d’argent à ceux qui le maîtrisent. Il y a aussi les plateformes d’investissement où on peut placer son argent et se laisser guider par un leader. Enfin, celle que je trouve la plus sûre, c’est l’achat et la vente de bitcoin. C’est un moyen sûr de gagner de l’argent », détaille-t-il non sans déconseiller les gros investissements pour ceux qui n’en ont pas les moyens.
« C’est un risque car tu peux beaucoup gagner comme tu peux te retrouver du jour au lendemain sans le moindre sou », avertit un investisseur qui place des dizaines de millions dans plusieurs cryptomonnaies. Cela s’explique par la volatilité des monnaies virtuelles. Leur valeur fluctue en fonction de l’offre et de la demande. Si nous prenons le bitcoin, il a chuté pendant la crise sanitaire du coronavirus avant de repartir à la hausse. Actuellement, il est à plus de 36 millions FCFA.
À côté, des arnaqueurs ont développé des activités calquées sur le système ponzi pour plumer les novices. Les victimes de la bulgare Ruja Ignatova ne le démentiront pas.
L’arnaque du Siècle
Surfant sur le succès du bitcoin, cette femme a créé sa propre monnaie virtuelle qu’elle a appelée ONECOIN. Son objectif était de « tuer » le bitcoin. Mais en lieu et place de l’enterrement de la première cryptomonnaie au monde, elle a grugé les milliers d’investisseurs qui lui ont fait confiance. Entre 2014 et 2017, plus de 4 milliards de dollars (2.290 milliards FCFA) ont été investis dans des dizaines de pays. Les investisseurs qui avaient misé leurs économies dans ce système n’ont rien vu venir. Le Dr Ignatova a, du jour au lendemain, disparu avec leur argent. Elle se serait enfuie en octobre 2017 en Grèce.
Parmi ses victimes, un jeune ougandais. Daniel Liendhardt qui s’est confié à BBC avait économisé 700 000 shillings (113 000 francs CFA) pour les fructifier. Mal lui en a pris. Des sénégalais aussi se sont fait piéger. Dakaractu a retrouvé l’une des victimes d’Ignatova. Malgré nos relances, elle n’a pas répondu à notre demande d’interview. Le sale coup de la bulgare fait dire à l’auteur de l’article de BBC que « ONECOIN représente le côté sombre de l’évolution technologique rapide ».
« Les SCAMS, ça existait avant ONECOIN et continueront d’exister. Le fait qu’ils utilisent la cryptomonnaie pour escroquer et arnaquer ne décrédibilise pas pour autant les monnaies virtuelles. Ce sont ces projets qui sont mauvais et non les crypto », plaide Bineta Ngom, dans sa toge d’avocate de la révolution numérique. En tout cas, cette expérience et son retentissement médiatique n’ont pas arrêté la montée fulgurante des crypto-monnaies qui se comptent de nos jours à plus de 7000.
La BCEAO dit niet
Cette percée peut être expliquée par l’évolution du marché des smartphones qui, selon le rapport « Akoin Une Afrique. Un Koin », devrait passer de 3,9 milliards en 2017 à 6 milliards d’appareils d’ici 2022. Le même document fait savoir que les paiements sans espèces, les paiements mobiles connaissent une croissance rapide et deviennent un élément essentiel du paysage du commerce électronique. « Boston consulting a constaté que les paiements mobiles dans ce secteur devraient passer à 48,5% du total des transactions en ligne d’ici 2020, dont une part croissante sera constituée de cryptomonnaie », prévoit le rapport parcouru par Dakaractu.
Cette position, nous avons tenté de savoir si elle a évolué depuis 2018. Et pour ce faire, Dakaractu a appelé au siège de la BCEAO à Dakar mais c’est pour se faire orienter de direction en direction pour finalement s’entendre dire : « vous devez rédiger une correspondance et la déposer physiquement au siège ».
Docteur en sciences économiques et spécialisé en macroéconomie monétaire et financière et économétrie applique, Abdoulaye Ndiaye tranche : « Les crypto-monnaies, avec à sa tête le Bitcoin, ne sont pas juridiquement reconnus comme monnaie ayant cours légal, ni comme moyen de paiement valable dans l’espace UEMOA. Ce qu’il faut savoir est que les crypto-monnaies ne répondent pas à la définition de « monnaie électronique », car elles ne sont pas émises contre remise de fonds. En effet, les crypto-monnaies n’offrent aucune garantie de sécurité, de convertibilité et de valeur, contrairement à la monnaie électronique qui a cours légal. Cette faille que présentent les crypto-monnaies est liée au fait qu’elles ne sont adossées à aucune institution de type banque centrale qui puisse en garantir la valeur et la convertibilité.
Elles constituent donc un risque majeur pour nos économies du fait de la forte volatilité de leurs cours. Cependant, les crypto-monnaies ne constituent pas une monnaie interdite. » Un vide juridique que certains vont exploiter à fond.
Le 31 août 2020, la première pierre de la ville futuriste « Akon City » est posée à Mbodiène à quelques minutes de la capitale du Sénégal. Le rappeur américain, Alioune Badara Thiam dit Akon veut reproduire « Wakanda » dans la vie réelle, avec l’accord des autorités sénégalaises. Cette ville qui doit être financée à hauteur de 6 milliards de dollars (3.435 milliards FCFA) fonctionnera aux énergies renouvelables et n’acceptera que la crypto monnaie du rappeur « AKOIN » lancée en 2018.
« Le jeton Akoin fournira une alternative de devise plus fiable aux plus de 40 devises actuellement utilisées dans 54 pays d’Afrique. Cela permettra aux entreprises de créer et de développer leurs entreprises avec une transition transparente vers et hors réseau via décret, crypto monnaie ou minutes prépayées », promet AKOIN.
Mais le démarrage des travaux de la cité annoncé au trimestre 2021 n’est toujours pas effectif. Les promoteurs n’ont servi aucune explication en dépit de nos interpellations. Le rappeur et ses collaborateurs qui affirmaient avoir déjà mobilisé 4 milliards de dollars (2.290 milliards FCFA) de fonds se sont-ils heurtés au refus de la BCEAO et à son hostilité à l’éclosion de toutes sortes de crypto-monnaies dans son espace ? « Il n’y a aucun responsable de ces monnaies et nous estimons que nous ne pouvons pas assumer la responsabilité de les laisser circuler dans notre zone », répondait Tiémoko Meyliet Koné avant le lancement de Akon City. Cette peur est-elle justifiée ?
De l’avis du Dr Abdoulaye Ndiaye, il est très tôt de prédire un remplacement du franc CFA par les cryptomonnaies. Mais l’ Enseignant-chercheur associé à l’Ufr de Sciences économiques et de Gestion de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis n’écarte pas un changement des habitudes chez les consommateurs comme c’est le cas déjà avec la monnaie mobile.
Le Salvador, le révolutionnaire
Force est déjà de reconnaître que ces monnaies circulent fortement dans les pays de l’UEMOA et dans au moins une vingtaine d’autres États dans le monde. Six Etats interdisent les crypto-monnaies alors que dix-sept sont favorables à leur circulation. En Septembre dernier, le Salvador fait mieux. Ce pays d’Amérique centrale reconnaît le bitcoin comme monnaie légale. Pour son président, cela permettra aux Salvadoriens d’économiser 400 millions de dollars de frais bancaires lors des envois de la Diaspora. Notre informaticien voit le futur Sénégal marcher sur les pas du Salvador. En tout cas, il a pris une résolution. « Une chose est sûre, je n’ai plus besoin de compte bancaire. Je place mon argent dans des plateformes sûres et j’attends que le cours du bitcoin prenne l’ascenseur pour faire des retraits à travers les services de Transfert d’argent reconnus au Sénégal», assure l’informaticien qui avoue détenir par devers ses comptes 300 000 francs, fruit de ses activités de vendeur et d’acheteur. Face à ce changement progressif de comportement, les banques ne semblent plus avoir le choix. « Les crypto monnaies vont sans doute pousser les acteurs traditionnels (banques par exemple) à se réinventer et refondre leurs services afin de s’adapter aux besoins de leurs clients », augure l’enseignant chercheur associé à l’Ufr de Sciences économiques et de Gestion de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.
Bineta Ngom envisage de son côté, de faire de sa société « une plateforme décentralisée basée sur la Blockchain où tout le monde pourrait acheter sans intermédiaire ». Le cours du bitcoin pouvant atteindre des sommets, nos jeunes entrepreneurs peuvent se permettre ce rêve…
NKN