Édito -Le sort des enfants talibés au Sénégal : entre esclavagisme et éducation religieuse …

{ Les richesses et les enfants sont la parure de la vie de ce monde, mais les bonnes actions impérissables recevront une récompense meilleure auprès de ton Seigneur et elles suscitent un meilleur espoir } [ Sourate 18 – Verset 46 ]

Habillés en haillons, pieds nus,  une boite de conserve vide à la main en guise de sébile,  l’image de ces jeunes enfants  qui errent nuit et jour dans les rues de notre capitale,  en quête d’aumône, a fini par s’imposer comme faisant partie du décor de notre espace public. On se bouche les oreilles pour ne pas entendre leurs cris de détresse, on ferme les yeux pour ne pas voir leur misère,   on reste sourd à cet appel ardant  de notre conscience qui nous invite à agir. Pourtant,  qu’on le veuille ou non, notre responsabilité  à tous dans cette tragédie n’en demeure pas moins engagée.

Dans les lieux d’affluence comme les places publiques, les marchés, les arrêts de bus, les croisements marqués par des feux de circulation,  il est quasi-impossible de  ne pas  rencontrer ces enfants qu’on appelle communément « Talibé ». Victime du mauvais sort, ils le sont bien. En effet, s’en tenant aux statistiques officielles,  ils seraient 100.000 enfants  dans les rues du Sénégal. Leur moyenne d’âge se situe autour de 11 ans.  Une enquête menée à ce propos révèle que  les plus jeunes auraient  2 ans, et près de la moitié n’ont pas 10 ans.   Les talibés consacrent une part importante de leurs temps à des activités autres que les apprentissages coraniques. L’une des plus importantes reste la mendicité.  De visu, ces tous petits inspirent  un sentiment de compassion, mais aussi et surtout  de condamnation, aussi bien du « seriñ daara », que  des parents de ces enfants, qui les ont sacrifié sous l’autel d’autres exigences,  et  négligé leurs droits les plus  élémentaires.

Les talibés  sont assurément sont au cœur d’une énorme circulation d’argent avec des obligations de versement à leurs « seriñ daara ». Une étude intitulée le «sarax», ses revenus et le Maître coranique» faite par l’écrivain-chercheur Pape Tall en collaboration avec Enda Tiers Monde,  enseigne que ces derniers  versent mensuellement une faramineuse somme qui dépasse les deux milliards Francs Cfa. Cette même étude dénonce  un  business de la mendicité des enfants soutenue,  parrainée et encouragée par des maîtres coraniques affairistes, mus par leurs seuls  intérêts crypto-personnels.

Avec des conditions d’apprentissage  particulièrement difficiles, des  violences physiques  quotidiennes,  les « daaras » clandestins  sont  de plus en plus objets de polémiques au Sénégal. Pour autant,  aucune mesure concrète pour lutter contre cet esclavagisme des temps modernes n’a été prise. Toutes les tentatives qui se sont inscrites dans ce sens ont étés soldées par des insuccès qui témoignent  du manque d’audace et de volonté  politique de la part de nos autorités,  pour venir à bout de ce fléau. Tous les acteurs qui ont tenté de s’attaquer à ce chantier ont buté sur les résistances de pseudo-marabouts qui, avec des théories religieuses, du reste infondées, enveloppent d’un drap de légitimité, le triste sort de ces oubliés de la nation.

Pour preuve, le projet de  modernisation des Daaras au Sénégal qui fût récemment initié par l’actuel régime est mort de sa belle mort à peine né.  On se  rappelle encore en  octobre 2010, lorsque des mesures  d’interdiction de la mendicité avaient été prises  par l’ancien  Premier Ministre   Souleymane N’déné N’DIAYE qui avait  fini par capituler face à la sévérité des pressions.  S’inscrivant dans une logique similaire,  l’ancien Premier ministre  Abdoul MBAYE avait lui aussi décidé de croiser le fer contre  la clandestinité des Daaras au Sénégal, mais son combat fût  vain. Aujourd’hui encore, les tentatives continuent,  et les résistances se font de plus belles.

Il suffit que la question des talibés soit soulevée  pour que les critiques commencent à fuser de partout.   Projet maçonnique, fragilisation de l’Islam,   manque de concertation de l’Etat avec les véritables acteurs du secteur, tous les stratagèmes sont bons pour  maintenir les enfants talibés dans les rues. Le combat pour redonner à ces enfants leur dignité et leur place dans la société est alors un défi certes très difficile, mais il  interpelle notre conscience collective.

A ce titre,  en présidant, hier, la rencontre nationale avec la communauté des «daaras», le Chef de l’État, Macky Sall semble avoir mesuré la les enjeux liés à ce fléau. Il a ainsi décidé de l’allocation de  20 % du Fonds à l’éducation aux « daaras », le 28 novembre décrété Journée nationale des «Daaras». Un prix du Président de la République de récital du Coran est également annoncé. Espérons qu’il y est tout le  suivi nécessaire ! 

Lorsque l’individu décide de s’ériger contre l’inacceptable, en refusant de se ranger derrière le confort du fatalisme, il quitte le cercle vicieux pour intégrer le cercle vertueux disait l’autre. Il est alors temps de libérer ces petits innocents des mains de ces esclavagistes portant des masques d’éducateurs.  La place d’un enfant n’est pas,  et ne sera jamais la rue !