Edito – Election 2024 : une présidentielle, mille vices de forme !

A moins de 16 mois de l’élection présidentielle de 2024, un véritable paradoxe semble se dessiner dans l’espace politique sénégalais. En effet, pour diverses raisons liées à la Justice, à la loi électorale et à la Charte fondamentale du pays, les grands Partis ou coalitions de partis qui se sont partagés les suffrages des citoyens, lors des dernières élections locales et législatives, voient leurs potentiels candidats trainer des boulets qui pourraient leur être fortement rédhibitoires. Et cela, du Président Macky Sall et sa tentation du troisième mandat au candidat de Pastef/Les Patriotes Ousmane Sonko, englué dans l’affaire dite Adji Sarr, en passant par Khalifa Sall et Karim Wade, potentiels candidats de Taxawu Sénégal et du PDS, mais déchus de leurs droits civils et en attente d’une hypothétique amnistie, acceptée ou non, qui leur ferait retrouver leur éligibilité.

Scrutin national à forts enjeux, compte tenu du « mortal kombat » qui oppose le pouvoir et son opposition, mais surtout de l’exploitation imminente du gaz et du pétrole, la présidentielle de 2024 voit l’épée de Damoclès suspendue au-dessus des principaux porte-drapeaux des Partis et coalitions les plus représentatifs lors des dernières élections organisées au Sénégal. A commencer par la coalition présidentielle Benno Bokk Yaakaar…

En effet, après une décennie de gestion du pouvoir, le Parti présidentiel (Apr) et ses alliés semblent à la recherche d’un candidat sans « aspérité ». Le Président Macky Sall à qui certains prêteraient la volonté de briguer un autre mandat, après un septennat et un quinquennat, n’est pas parti pour naviguer dans un long fleuve tranquille. Si jamais il tentait un troisième mandat ! Pour cause, la phobie générale contre la tentation du 3ème mandat semble la chose la mieux partagée dans le Landerneau politique sénégalais, au sein de la Société civile comme de la population générale.

Qui plus est, des oppositions à cette candidature avérée ou non du Président Macky Sall se sont fait jour à l’intérieur même du camp présidentiel. Le cas le plus marquant est celui de l’ex-cheffe du Gouvernement et tête de liste nationale de la coalition Benno Bokk Yaakaar aux dernières Législatives, en l’occurrence Aminata Touré. Elle qui n’a jamais cessé de clamer urbi et orbi que le Président Macky Sall, comme il l’avait déclaré lui-même à maintes reprises, n’avait pas droit à un troisième mandat. C’est dire qu’au-delà de l’effritement progressif de son électorat lors des derniers scrutins au Sénégal, le potentiel candidat Macky Sall devra franchir l’écueil du troisième mandat, germe en puissance de perturbations et de désordre social. Le cas Me Abdoulaye Wade en 2011 en est un exemple patent : des mois de contestation politique, une dizaine de morts et la perte du pouvoir pour l’ancien Chef de l’Etat.

L’Apr, soutenue par ses alliés, n’est cependant pas le seul grand Parti dont la candidature de son champion potentiel est entachée de vice de forme. Le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) qui régna de 2000 à 2012, avant de perdre le pouvoir, voit lui aussi une épée de Damoclès au-dessus de la tête de son probable candidat, en l’occurrence Karim Wade. Et pour cause, le fils de l’ancien Président Wade est toujours à la recherche de son éligibilité, perdue suite à ses démêlées avec Dame justice.

Pour rappel, reconnu coupable d’enrichissement illicite et condamné à une peine de 6 ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende par la Cour de répression de l’enrichissement illicite, avant d’être gracié en juin 2016 par Macky Sall, Karim Wade a été déchu de ses droits d’électeur.

Conséquence : le candidat du PDS à la présidentielle de 2019 n’a pas pu participer à aucun des divers scrutins qui se sont déroulés au Sénégal, depuis l’avènement du régime en place. Aujourd’hui, le fils de Me Abdoulaye Wade voit son avenir politique suspendu à une hypothétique amnistie qu’il refuse d’ailleurs, exigeant à tue-tête la révision de son procès.

Le cas de Khalifa Ababacar Sall, ancien maire de Dakar et patron de Taxawu Sénégal, n’est pas dissemblable de celui de Karim Wade. Comme le candidat du PDS, lui aussi est à la recherche de son éligibilité, suite à ses déboires judiciaires. Placé en détention dans la nuit du 7 au 8 mars 2017, avec cinq de ses collaborateurs pour détournement de fonds publics, l’ancien maire de la capitale sénégalaise écope, le 30 mars 2018, d’une peine de prison de cinq ans.

Par suite, le Président Macky Sall le révoque de ses fonctions de maire de Dakar par décret présidentiel, et cela après la confirmation par la Cour d’appel de sa condamnation qui va le priver de ses droits civiques et l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle de 2019. Comme Karim Wade, Khalifa Sall qui a été gracié par le Président Macky Sall, le 29 septembre 2019, est dans l’attente d’une amnistie décidée par son principal adversaire politique pour retrouver le droit de participer à une élection présidentielle, en particulier celle de 2024. Toute chose qu’aucun observateur averti de la scène ne saurait lui garantir, compte tenu des atermoiements et autres louvoiements du maître du jeu politique.

L’épée de Damoclès suspendue au-dessus de ces diverses candidatures, pouvant être portées par les partis et/mouvements politiques les plus actifs dans la scène, lors des dernières élections précédant la présidentielle de 2024, semble aussi voisiner aux abords de la candidature de Pastef/Les Patriotes. Quoique son porte-étendard, Ousmane Sonko, ait déclaré ouvertement sa candidature à la prochaine présidentielle, rien ne garantit au candidat arrivé 3ème à la dernière présidentielle de pouvoir valider sa candidature. En raison de l’affaire supposée de « viols et menaces de mort » dont l’accuserait une masseuse du nom d’Adji Sarr, en février 2021.

De fil en aiguille, cette sulfureuse affaire, éclaboussant l’étoile montante de la politique au Sénégal, allait déboucher sur des émeutes sur l’étendue du territoire national, causant près de treize morts et une cassure profonde de la société sénégalaise.

Même si la situation s’est calmée depuis lors, cette affaire apparait pour beaucoup de partisans de Sonko, qui parlent d’instrumentalisation de la Justice, comme une menace froide contre la candidature de leur leadeur.

L’affaire Sonko/Adji Sarr, pendante en Justice, pourrait, en tout moment, déboucher sur un procès qui n’épargnerait pas le maire de Ziguinchor. D’une façon ou d’une autre ! mesure à quel point la candidature d’Ousmane Sonko au scrutin présidentiel de 2024 est sous hypothèque.