Burkina Faso : La décision du Président sénégalais suscite admiration et supputations

« Mes chers compatriotes, ma décision longuement et mûrement réfléchie est de ne pas être candidat à la prochaine élection du 25 Février 2024 » : du discours du Président sénégalais, Son Excellence Macky SALL, lors de son “adresse à la Nation“ lundi soir, c’est ce bout de phrase de 23 mots que beaucoup auront certainement retenu le plus. Tant, pendant de longs mois, le Président a maintenu le suspense jusqu’au bout à propos de sa candidature pour un 3ème mandat ?

 

Jugé illégal et illégitime par certains ? à la présidentielle de Février 2024, alors que les violentes contestations, sur fond d’ennuis judiciaires de son principal opposant, Ousmane SONKO, se sont multipliées.

Comme dans d’autres pays, loin des frontières sénégalaises, l’annonce du Chef de l’État a été bien suivie et fait réagir au Burkina où l’actualité du “pays de la Téranga“ est habituellement scrutée et largement commentée, particulièrement par la presse.

« Macky SALL a pris tout le monde de court »

Par cette même phrase de 23 mots, « Macky SALL venait de marquer l’unique et beau but dans ce match qui l’opposait à une? opposition qui lui prêtait des intentions d’une troisième candidature », a écrit, sur un ton badin, le site “Wakatséra“. Le quotidien privé “L’Observateur Paalga“ considère la décision du Président sénégalais comme « la surprise du chef », pour reprendre le titre de son éditorial. Le canard avance que « Macky SALL a pris tout le monde de court car, tout semblait indiquer qu’il marcherait sur des dizaines et des dizaines de cadavres qui ont jonché depuis de longs mois les rues sénégalaises, pour jouer les prolongations ».

D’ailleurs, le journal argumente que, depuis quelque temps, « par petites touches successives, le Chef de l’État sénégalais laissait transparaître ses ambitions présumées, encouragé qu’il est par des partisans chauffés à blanc qui le conjurent de se présenter pour un troisième mandat. Pour beaucoup, il n’y avait plus le moindre doute que [Macky SALL] allait franchir le Rubicon pour ne pas dire le fleuve SÉNÉGAL », ajoute “L’Observateur Paalga“.

Tradition démocratique sénégalaise…

« Non, ce n’est pas une surprise au regard de la tradition démocratique du SÉNÉGAL », estime le Dr Daniel KÉRÉ, Enseignant–chercheur en Sciences politiques à l’Université Thomas-SANKARA de Ouagadougou et Directeur exécutif du Cercle d’Études Afriques/Monde, un think tank qui se propose « d’analyser la complexité de l’Afrique, dans sa pluralité et dans son dynamisme ». Pour ce chercheur, la nécessité d’une perpétuation de cette tradition démocratique a prévalu pour que Macky SALL, ce fervent opposant « du mandat de trop » depuis l’ère Abdoulaye WADE, inscrive sa décision dans « une perspective de posture raisonnable et sage qui épargne au pays le pire ». Pour Rasmane ZINABA, du mouvement “Balai citoyen“, une organisation de la Société civile, ce n’est pas une surprise mais c’est plutôt la pression de la rue qui a fini par payer.

« Quand le Peuple se mobilise, il obtient toujours une victoire. [?] C’est à l’honneur du Peuple sénégalais d’avoir contraint le Président Macky SALL au renoncement. Il faut encore s’investir plus dans la vigilance, le contrôle citoyen et dans la surveillance de ce processus jusqu’aux élections de Février 2024 pour éviter d’être surpris par d’autres faits qui pourraient remettre en cause cette victoire d’étape », a instamment préconisé ce militant du “Balai citoyen“.

Pour le journaliste d’investigations et écrivain Atiana Serge OULON : « La décision peut avoir été prise aussi sur la base de sondage discret de la population sénégalaise qui rejetterait dans une large majorité un troisième mandat. »

Nombre de Burkinabè voient pourtant en la décision du Président sénégalais l’expression d’une « sagesse ». Les éditorialistes du quotidien “Le Pays“ se sont fait l’écho de cette appréciation en écrivant ceci : « En contenant sa boulimie du pouvoir pour ne s’en tenir qu’à ses deux mandats constitutionnels conformément à l’esprit et à la lettre de la Loi fondamentale de son pays, Macky SALL écrit non seulement son histoire personnelle à la tête du SÉNÉGAL, en lettres de noblesse, mais aussi, et surtout, il évite à son pays de sombrer dans le chaos qu’ont vécu d’autres peuples sous d’autres cieux, face à l’obstination de dirigeants qui se croyaient sortis de la cuisse de Jupiter ».

SÉNÉGAL : Qui pour remplacer Macky SALL ?

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Le long silence du Chef de l’État…

Adama NIKIEMA, étudiant, partage l’analyse du journal, mais estime que cette décision, bien que « sage », est par contre entachée par ces morts et ces blessés imputables au « long silence » du Chef de l’État. C’est pour cela d’ailleurs que le Dr Daniel KÉRÉ analyse que l’image du Président SALL est quelque part écornée. Car, « en déclarant bien plus tôt sa volonté de ne pas se présenter pour un troisième mandat, cela aurait sans doute sauvé de nombreuses vies et protégé des biens publics et privés », a–t–il expliqué. Mieux, estime l’Enseignant–chercheur, « l’histoire politique et sociale du SÉNÉGAL retiendra désormais de Macky SALL l’image d’un Président dont ses partisans auraient tenté de forcer une énième candidature, pourtant impossible suivant les dispositions de l’actuelle Constitution sénégalaise ». Rasmané ZINABA du “Balai citoyen“, pense, lui aussi, que « ce renoncement de Macky SALL vient tardivement après tous ces troubles, tous ces morts et toutes ces violences. C’est triste », a–t–il ajouté…, « Qu’on arrive à plusieurs morts pour que ce qui devait être un acte normal devienne un exploit pour un homme qui n’avait d’autres choix. C’est la preuve encore que nous avons encore du chemin sur le Continent. C’est triste de voir que respecter la loi, surtout la loi fondamentale qu’est la Constitution, est devenu un événement sous nos cieux ».

La démocratie sénégalaise sauvée…

Qu’à tout cela ne tienne, la décision du Président sénégalais reste favorablement accueillie, par la plupart des Burkinabè qui jugent que « la démocratie sénégalaise est sauvée et le spectre du chaos évité ».

« Il n’y a rien de tel que la paix dans un pays et la décision prise par le Président Macky SALL va beaucoup y concourir après ce qu’on a vu ces derniers mois », espère Mohamed Ali CISSÉ, un commerçant. “L’Observateur Paalga“ s’inscrit dans cette perspective. Le journal estime que, avec la déclaration du président SALL, « nul doute que le mercure socio-politique sénégalais qui ne cessait de monter va retomber. Et c’est tout le pays de la Téranga qui doit pousser un grand ouf de soulagement, tant les conséquences s’annonçaient désastreuses si la décision avait été autre », conclut “L’Obs“.

« Partir à temps a toujours été souhaitable pour un chef d’État et Macky SALL l’a compris », observe Émile TENKODOGO, commerçant au marché central de Ouagadougou. Le Pr Abdoulaye SOMA, éminent Constitutionnaliste, analyse tout simplement que « Macky SALL a pris une décision à la fois bonne pour son curriculum et pour le cursus politique du SÉNÉGAL ».

L’avenir politico-judiciaire de l’opposant SONKO interrogé ??

Au–delà de l’admiration pour celui qui a levé tous les doutes sur sa candidature à la Présidentielle de Février 2024, on s’interroge déjà au Burkina sur les conséquences de la décision du Président Macky SALL, particulièrement sur l’avenir politique et judiciaire de l’opposant Ousmane SONKO, condamné à deux ans d’emprisonnement pour “ corruption de la jeunesse sénégalaise “, lui qui fut d’abord poursuivi pour viols et menaces de mort sur l’employée d’un salon de massage, lui encore qui a souvent appelé ses partisans à descendre dans la rue contre « un complot ourdi par Macky SALL » pour l’empêcher d’être candidat en 2024.

« La situation de l’opposant Ousmane SONKO n’est pas encore réglée, étant sous le coup d’une condamnation à de la prison ferme, il est passible, de ce fait, d’une mise aux arrêts à tout moment. A priori, les pouvoirs sont séparés et le pouvoir exécutif ne peut interférer pour annuler la condamnation de M. SONKO. Ce qui risquerait d’écarter M. SONKO de la prochaine élection présidentielle », entrevoit le Dr Daniel KÉRÉ. « SONKO va peut–être articuler son discours maintenant sur la gouvernance et son sort judiciaire », présage le journaliste Atiana Serge OULON. Pour le quotidien “Le Pays“, la décision du Président sénégalais « ôte aux soutiens d’Ousmane SONKO un argument de taille pour continuer à ruer dans les brancards contre le Chef de l’État. Et si les choses en restaient là, poursuit le journal, le plus grand perdant serait l’opposant SONKO qui ne pourrait se prévaloir de ses propres turpitudes ».

Pour le constitutionnaliste Abdoulaye SOMA, « Ousmane SONKO peut essayer de manœuvrer pour être candidat en faisant, par exemple, appel de la décision de la Justice ». Pas besoin de manœuvrer, semble dire le commerçant Mohamed Ali CISSÉ. Ce commerçant croit savoir que l’illustre opposant n’était qu’une victime de la tentation du troisième mandat de SALL.

« Étant donné que le président ne sera pas candidat, Ousmane Sonko doit être simplement relaxé pour prendre part à l’élection », souhaitetil.

La question de la succession posée

Dans un tout autre registre, Le pays estime que « le principal défi pour Macky SALL, reste l’organisation de sa succession, à travers l’organisation d’élections apaisées et transparentes ». Et de poursuivre : « On peut dire que les jeux sont ouverts. D’autant plus que jusqu’à son allocution du 3 juillet dernier, on ne connaissait pas le chef de l’État sénégalais, de dauphin attitré ».

Or, conclut le canard, il ne fait pas de doute que le retrait de Macky SALL de la course à sa propre succession, ne manquera pas d’aiguiser les ambitions au sein de la grande coalition Benno Bokk Yaakaar, au pouvoir à Dakar.