5.000 enseignants insérés d’urgence dans le système éducatif : un recrutement à problèmes ?
En soutien à l’emploi et aux ménages, le président de la République avait annoncé au mois d’avril dernier un budget de 80 milliards de FCFA affecté au recrutement de 65 000 jeunes, sur l’ensemble du territoire, dans les activités d’éducation, de reforestation, de reboisement, d’hygiène public, de sécurité, d’entretien routier et de pavage des villes.
Un quota spécial a été accordé au recrutement de 5.000 enseignants pour le préscolaire, le primaire, le moyen et le secondaire, sans oublier les daara modernes et l’enseignement arabe. Cette volonté du chef de l’État a été matérialisée par le ministère de l’Éducation nationale par la mise en place dès le mois de mai d’une plateforme numérique devant enregistrer les candidatures. Les candidats devaient être de nationalité sénégalaise, être âgé de 18 à 40 ans, être titulaire d’un diplôme professionnel ou du baccalauréat au minimum. En sus, ils doivent être prêts à servir partout sur le territoire national.
Les demandeurs d’emplois ne se sont pas fait prier pour tenter leur chance car au terme de la première phase, le système d’information du ministère de l’Éducation nationale a capté 152 050 dossiers de candidature émanant aussi bien de l’Intérieur du pays que de l’Extérieur.
Pour le préscolaire et l’élémentaire, 93 079 demandes ont été comptabilisées alors qu’ils sont 38 696 et 18 831 à vouloir servir dans le moyen et le secondaire. La plateforme concernant les daara a été prise d’assaut par 1 441 postulants. Au terme du processus, 3 550 enseignants ont été recrutés pour le préscolaire, l’élémentaire et les daara. Le moyen et le secondaire ont été servis à hauteur de 1 350 professeurs.
Dans ce lot de nouvelles recrues, renseigne Mamadou Moustapha Diagne qui a accordé à Dakaractu un entretien, 1 820 sont titulaires de diplômes professionnels. Les personnes à mobilité réduite ou présentant d’autres handicaps n’ont pas été oubliées. La preuve, 27 handicapés physiques et 5 jeunes non-voyants ont été recrutés. Mais c’est à croire que c’est la partie la plus facile car aussitôt après avoir déployé tous ces efforts pour combler le déficit d’enseignants, l’État a tourné le dos à ces soldats de l’éducation.
Nouvel emploi mais pas de salaire.
Des témoignages recueillis par Dakaractu auprès de plusieurs enseignants vont dans ce sens. En poste dans une région du nord, un enseignant qui sert dans une école élémentaire se plaint d’être sans salaire jusqu’à présent. Cet éducateur qui a fait 7 ans dans le privé à Dakar croyait que « toutes les mesures d’accompagnement étaient déjà acquises » d’autant « qu’ils nous ont enjoint de rejoindre les postes avant le 15 novembre en menaçant de remplacer les non-exécutants ». « Mais jusqu’ici, les salaires ne sont pas placés or, nous avons déjà ouvert des comptes bancaires », rouspète-t-il. C’est le même geignement chez un de ses collègues qui a été détaché dans le sud-est du Sénégal. « Je suis dans une situation très difficile », nous confie l’enseignant qui vient aussi du privé où il a capitalisé une expérience de 11 ans avant de faire partie des 5 000 recrutés.
Le pire pour ces agents de l’État, c’est qu’ils n’ont pas d’interlocuteurs pour pleurer leur désarroi. « Personne n’est venu nous parler », déplore une enseignante qui a été affectée dans la région de Kolda.
Cette situation difficile s’est retrouvée au cœur des débats lors du passage du ministre de l’Education nationale à l’Assemblée nationale à l’occasion de la session budgétaire 2021/2022. Le député Dethié Fall a interpellé le ministre Mamadou Talla sur la question en lui demandant de faire le nécessaire pour décanter la situation. Dans sa réponse, le ministre a éludé le retard des salaires des enseignants recrutés dans le cadre du programme « Xeyu Ndaw ni ».
On a essayé de joindre par téléphone le Directeur des ressources humaines du Ministère de l’Education nationale. Son téléphone sonne dans le vide. Nous lui avons envoyé un message sans avoir droit à une réponse.
Une source au fait du processus de recrutement au ministère de l’Education considère qu’il n’y a en réalité pas péril en la demeure.
Notre interlocuteur qui préfère garder l’anonymat est convaincu que les plaignants sont « juste impatients ». « D’habitude, les enseignants nouvellement affectés par le ministère de l’Éducation ne perçoivent pas très tôt leur salaire », tempère-t-il.
« Quand un enseignant est affecté par le ministère, il est mis à la disposition d’une Inspection d’Académie (IA) qui le met à son tour à la disposition d’une IEF de sa circonscription. Le temps qu’il soit affecté dans une école, dix jours peuvent s’écouler sans parler de toutes les pièces justificatives qu’il faut fournir pour prétendre à un salaire et l’ouverture d’un compte bancaire. Cette domiciliation bancaire est ensuite déposée à l’inspection d’accueil. Si la domiciliation de salaire atterrit sur la table avant le 15 du mois et ça concerne l’ensemble des affectations, l’Inspection envoie la demande qui est déposée aux Finances. C’est à partir de là que le ministère des Finances fait le virement », renseigne notre source qui ajoute que « ce processus peut prendre 15 jours ou plus parce qu’il faut une nouvelle ligne de crédit ».
« Tous ceux qui sont arrivés au même moment sont dans une ligne qu’on appelle des cartons. Si vous êtes 20 ou 30 dans la même circonscription, vous êtes dans le même carton. Il faut donc attendre de réunir l’ensemble des dossiers pour que le carton puisse être engagé. S’il ne l’est pas, personne ne reçoit son salaire », enchaîne-t-il non sans rassurer les enseignants sur le fait qu’ils auront leurs émoluments. « Si tu as deux mois de retard, on te fait un rappel de deux mois », assure-t-il sans éteindre la polémique suscitée par le recrutement des 5 000 enseignants.
De l’intérieur du monde de l’enseignement, ils sont nombreux à parler de « fiasco ». « Les directives du président de la République n’ont pas été respectées dans le sens où, les jeunes qui avaient postulé depuis l’extérieur n’auraient pas été servis », relève un inspecteur de l’Education. « Des jeunes ont demandé à revenir au pays pour servir. Il aurait fallu une discrimination pour inciter les autres à revenir », clame notre source qui ne souhaite pas être citée nommément.
Absence de discrimination positive pointée
En effet, des sénégalais de l’Extérieur ont exprimé leur volonté de servir dans l’enseignement. Selon Seyni Ndiaye qui est le coordinateur du système d’information du ministère de l’Éducation nationale, 70 candidatures ont été envoyées depuis le Canada, 427 des États-Unis, 1 102 de la France, 520 depuis la Mauritanie etc…
D’après notre source, cette « discrimination positive » devait être de mise à travers « une communalisation dans le recrutement ». Ce ne serait que respecter le vœu de Macky Sall pour territorialiser les politiques publiques ». « Malheureusement, ça n’a pas été fait », regrette-t-elle.
Sur les 152 050 candidatures, 1/3 vient de la région de Dakar qui semble avoir été bien servie alors que les autres régions totalisent plus de 80 000 candidatures. Sauf que ce n’est pas à ce niveau uniquement où il y aurait à redire.
Dans le même sillage, la mise à l’écart des élèves-maîtres qui seraient plus de 6 000 sur le quai en attendant leur recrutement est agitée. Ces derniers ont satisfait le protocole de concours mis en place par le Ministère de l’Éducation et sont sur une liste d’attente. Il est ainsi reproché au ministère d’organiser un nouveau concours qui ne le serait que de nom alors qu’il aurait pu recruter dans cette base de données déjà disponible.
« Quand nous avons eu les 5 000, nous avons voulu avoir des enseignants professionnels en s’appuyant sur des diplômes professionnels. Toutes les IA (Inspection d’académie) et IEF (Inspection de l’Education et de la Formation) ont été représentées, des commissions ont été mises en place avec les partenaires sociaux. Ça nous a permis en fonction de nos besoins, de construire la répartition des 5 000 enseignants. Ils ont tous lesm Bac au minimum et ils sont tous formés. Sinon on les aurait mis dans le système dès septembre », répond le ministre de l’Éducation nationale qui, devant les députés a assuré que « la formation de ces enseignants va continuer ». « Nous sommes toujours dans le principe. On est en train de recruter des professionnels, on fait le focus sur ceux qui ont des diplômes professionnels. Après cela, nous mettrons le focus sur ceux qui ont des diplômes d’enseignement, qui ne sont pas forcément des diplômes officiels. Ensuite, nous allons faire le focus sur tous ceux qui ont une expérience en éducation », a ajouté Serigne Sohaibou Badiane dans un entretien au Quotidien.
Les abris, toujours les abris provisoires Un focus doit aussi être mis sur la modernisation des infrastructures scolaires. Des quatre enseignants nouvellement recrutés, trois rapportent être en service dans des villages où des abris provisoires font office de salles de classe. « En ce qui me concerne, c’est à mon arrivée que les abris provisoires ont été installés », ironise l’un d’eux qui souligne aussi « le manque criard d’enseignant » dans les zones rurales. Dans son école, il y a 4 instituteurs pour 5 cours.
NKN